Jocrisse

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
0 vues
0.0

Ce siècle, beau, mais décadent,

-Comme l’ont prédit les augures,

Voit au fond du rouge occident

S’effacer les grandes figures.
Mangin ne vend plus de crayons,

Avec son bagout dur et leste.

Peut-être qu’il vend des rayons,

Dans une calèche céleste.
Robert Macaire n’est plus roi

Au bagne affreux ni dans le bouge,

Et ne fait pas naître l’effroi,

N’ayant plus son pantalon rouge;
Et triste, faisant son paquet,

Emportant sa malle et sa harpe,

Le prodigieux Bilboquet

Renonce à marchander la carpe.
Prudhomme, exempt de tous mollets,

Sur son front dévasté ramène

Des crins, plus étirés que les

Vers du récit de Théramène.
Polichinelle est aboli.

Dans la neige d’une avalanche

Se dissipe son nez pâli,

Aussi blanc qu’une truffe blanche.
Pierrot, morne et l’air abattu,

Se promenant à Pampelune,

Dit: O Lune, me connais-tu?

– Pas du tout, dit la blanche Lune.
Oui, tous ces héros glorieux,

Que les cieux de flamme éblouissent,

Dans les lointains mystérieux

S’effacent et s’évanouissent.
Seul, ô Jocrisse, aimable enfant,

Dont l’oeil doux charmait ta nourrice,

Toi que l’Illusion défend,

Chaste, ingénu, divin Jocrisse,
Etre initial et sans prix,

O toi que la brise courtise,

Au milieu de nous tu fleuris,

Éternel comme la Bêtise.
Dans tes petits yeux radieux

La Certitude heureuse éclate.

Naïf, tu vas, comme les Dieux,

Vêtu de la pourpre écarlate.
Plus allègre que Jupillon,

Pareil à la fleur sur sa tige,

Un symbolique papillon

Près de tes cheveux roux voltige.
Et ce messager du ciel pur,

Léger comme ta petite âme,

Jette un éclair d’or et d’azur

Dans ta chevelure de flamme.
Toi, sur qui la Fée, en rêvant,

Pose encor sa main protectrice,

Ami du soleil et du vent,

Incommensurable Jocrisse,
Ignorant ce que les passants

Peuvent abriter sous leurs crânes,

Tu montres autant de bon sens

Et de sagesse — que les Anes!
22 janvier 1889.

Théodore de Banville

Qu’en pensez-vous ?

Partagez votre ressenti pour Théodore de Banville

Noter cette création
1 Étoile2 Étoiles3 Étoiles4 Étoiles5 Étoiles Aucune note
Commenter

Rejoignez-nous et laissez vos mots s'envoler comme des papillons, comme le faisait Desnos.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Découvrez d'autres poèmes de Théodore de Banville

Nouveau sur LaPoesie.org ?

Première fois sur LaPoesie.org ?


Rejoignez le plus grand groupe d’écriture de poésie en ligne, améliorez votre art, créez une base de fans et découvrez la meilleure poésie de notre génération.