Jours gras
Tu t’en es allé, Mardi-Gras!
C’est toi-même, effroi des Cassandres,
Qui vers le néant émigras,
Avec le Mercredi des Cendres!
Ils sont partis, les Arlequins
Dont le vieux carnaval s’honore.
Où sont les cornets à bouquins
Dont s’épouvantait l’air sonore?
Où sont allés, tristes et las,
Nos Polichinelles des bouges,
Et, sous la toile à matelas,
Paillasse aux carreaux jadis rouges?
Où, comme on se la rappelait,
Cette laitière inspiratrice
Qui naguère, à défaut de lait,
Nous montrait des seins de nourrice?
Nous les avons revus encor
Et même, en quittant nos rivages,
Les hussards bleus, au bruit du cor
Ont fait endêver les sauvages.
Mais je n’ai pas vu le Boeuf-Gras
Et c’est vraiment ce qui me fâche.
Sans doute nous trouvant ingrats,
Cet animal a fait relâche.
Avec un bon air endormi,
Ce monstre doux et pléthorique
Se réfugie enfin parmi
Les figures de rhétorique.
Sous le ciel pavé de lapis
Le Boeuf-Gras menait son cortège,
Plus digne que le boeuf Apis,
Dans la froidure et dans la neige.
C’était le meilleur des fardeaux,
L’enfant Amour, poëme en prose,
Qu’il portait sur son large dos
Et qui montrait sa bouche rose.
L’Amour! il n’était pas venu
Sur ce dos, par amour du lucre.
Il était frisé, presque nu,
Si joli qu’il semblait en sucre.
Devant le regard ébloui
Par ses allures militaires,
Il s’est de même évanoui,
Le régiment des mousquetaires.
Ils ne boivent plus de cognac
Dans la boutique familière,
Mais en revanche, Pourceaugnac
S’ébaudit encor chez Molière.
Pressé par le vil argousin,
Courbé comme une parenthèse,
Cet infortuné Limosin
Contre son dos serre sa chaise.
Voyant sur ses pas rassemblés
Cent médecins et leurs mystères,
Il reflète en ses yeux troublés
Un horizon plein de clystères.
Ébouriffé, gonflé de vent,
Trompé dans ses désirs précaires,
Il fuit éperdûment devant
La course des apothicaires.
Il s’enfuit, tourmenté, honni,
Assiégé par de grandes bringues,
Et l’on n’aura jamais fini
De Pourceaugnac et des seringues.
17 février 1891.