La Charité

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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ODE ÉCRITE POUR UNE REPRÉSENTATION DONNÉE AU BÉNÉFICE DES PAUVRES

La Comédienne.

O cœurs toujours ouverts, dont la pitié si tendre

Va chercher le malheur pour mieux s’en souvenir,

Écoutez-moi : c’est lui que vous allez entendre,

Je suis la voix de ceux qui veulent vous bénir.
Eux à qui le Seigneur donna pour seules armes

L’humble foi du croyant qui le prie à genoux,

Pour vous remercier ils n’avaient que leurs larmes ;

Ils m’ont dit en pleurant : Vous parlerez pour nous.
Aussi je viens vous dire au nom des pauvres mères

Dont le calme sourire, aujourd’hui triomphant,

Hier dissimulait des angoisses amères :

Merci, car c’est à vous que je dois mon enfant !
Je viens vous dire au nom de toutes les familles

Pour lesquelles demain, grâce à vous, sera beau :

Merci pour les enfants et pour les jeunes filles,

Merci pour les vieillards courbés vers le tombeau !
Je viens vous dire au nom de celui qui déploie

Au-dessus de nos fronts le ciel immense et bleu :

En plaisirs, en bonheur, en délires de joie

On vous rendra cet or que vous prêtez à Dieu !
Car le pauvre, c’est lui. Sublime poésie

Que lui-même enseigna pour guide à la vertu !

Celui qui donne au pauvre un pain, le rassasie,

Celui qui donne au pauvre un manteau, l’a vêtu !
Mais ce pauvre, la chair de sa chair, et qu’il aime

Avant tous, l’indigent que le Christ appela

A s’asseoir dans le ciel à côté de lui-même,

N’aura besoin de rien tant que vous êtes là !
C’est l’hiver. Tout gémit dans la pauvre demeure.

Auprès de son vieux chien qu’il vient de rudoyer,

Le père tout pensif se tait, et d’heure en heure

Le pain manque à la huche et le bois au foyer !
Les petits, secouant leur chevelure blonde,

Disent : Qui soutiendra nos pas, faibles roseaux,

Si vous nous oubliez, mon Dieu, maître du monde

Qui donnez leur pâture aux petits des oiseaux ?
La mère, elle, tressaille en faisant la toilette

De sa fille, et jetant, de larmes arrosé,

Un œil de désespoir sur l’enfant qu’elle allaite,

Le berce avec terreur sur son sein épuisé.
Mais vous venez, ainsi qu’une aurore vermeille,

Des rayons de vos yeux dorer ces pauvres murs,

Et, comme un serviteur qui vide sa corbeille,

Vous faites de vos mains tomber les épis mûrs !
Consolant tout ce monde avec mélancolie,

Vous leur dites avec un sourire divin :

Celui qui songe à tous jamais ne vous oublie ;

Mangez, voici du pain ; buvez, voici du vin.
Et tous ces malheureux, retrouvant l’espérance

Rien qu’à vous voir ainsi, pensent avec raison

Que, venus de là-haut pour calmer leur souffrance,

Des Anges de lumière entrent dans leur maison !
Car, lorsque pour six mois a fui la saison douce

Où le contentement tombe du ciel vermeil,

On dit : Que reste-t-il à ceux que tout repousse

Et qui n’ont plus pour eux l’air pur et le soleil ?
A ceux-là qui le soir souffrent un long martyre

En voyant s’allumer les vitres des palais ?

Au marin dont la mer a brisé le navire ?

Au pêcheur dont la vague a troué les filets ?
On dit : Que reste-t-il à toutes les victimes

Qui, malgré cet espoir résigné du chrétien,

Sous leurs pieds frémissants ne voient que des abîmes,

Enfin, que reste-t-il à ceux qui n’ont plus rien ?
O bons cœurs, il leur reste encore un héritage

Dont aucun d’eux ne peut être déshérité,

Et qu’ils possèdent tous entier et sans partage,

Ce trésor infini, c’est votre Charité !
C’est elle, Ange penché partout où crie un gouffre,

Amour inépuisable entre tous les amours,

Qui de sa lèvre en fleur baise tout ce qui souffre :

Elle est le bien du pauvre, et ce soir et toujours !
Et maintenant, amis, vous que nous implorâmes !

(Quel que soit devant vous mon invincible émoi,

Je ne tremblerai pas, car je parle à vos âmes,)

Pour les pauvres encor merci, merci pour moi !
L’humble artiste après eux bénit votre indulgence,

Car vous avez voulu qu’en ses nobles chemins

Votre or sanctifié, qui cherchait l’indigence,

Pour arriver au but ait passé par ses mains !
Décembre 1853.

Théodore de Banville

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