La Fille de Jaïre

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Tableau d’Alfred Dehodencq
Lorsque Jésus entra, la fille de Jaïre

Ouvrait sa lèvre encor, ne sachant plus sourire;

Son visage était pâle et ses yeux étaient clos,

Et dehors éclataient des cris et des sanglots.

Se tournant vers le doux Jésus dont le front brille,

Le père dit: Seigneur, c’est ma petite fille

Dont la tête repose entre ses bruns cheveux;

Regarde-la, tu peux me rendre si tu veux

Sa rouge lèvre en fleur et ses yeux de gazelle.

Qu’est-ce que je ferais sur la terre sans elle?

Rien qu’à la voir avec ses prunelles de feu

Je triomphais, j’avais en moi tout le ciel bleu;

Dans la nuit qui déjà me prend et me dévore,

Ma petite Marie était comme une aurore

Qui répandait sur moi, père tremblant d’amour,

Les rayons de la vie et les roses du jour.

Or à présent je suis vaincu par l’ombre amère,

Et lorsqu’ainsi j’entends les sanglots de sa mère

Dont le sein est gonflé par des pleurs étouffants,

Je me trouble en mon coeur pour mes autres enfants.

Hélas! tout mon espoir se déchire et succombe

Car le vautour muet tient ma chère colombe;

Mais si du petit lit tu daignes t’approcher,

O toi qui fais jaillir l’eau vive du rocher

Et devant qui la mort s’enfuit humble et craintive,

Tu n’a qu’à dire un mot pour que ma fille vive.

Or, entendant toujours les femmes soupirer,

Jésus leur dit: Pourquoi vous troubler et pleurer?

Puis, ayant relevé sa chevelure rousse,

Le Maître, d’une voix mystérieuse et douce,

Ajouta: Cette enfant n’est pas morte, elle dort.

Comme lorsqu’au matin le jour s’éveille et sort

De la nue, un rayon de lumière fleurie

Parut, et se posa sur le lit de Marie.

Ainsi dans la clarté riante du soleil

Qui la prit toute blanche en son réseau vermeil,

Elle avait la douceur d’un ange qui médite.

Alors Jésus lui prit la main et dit: Petite

Fille, lève-toi. Comme un astre, tu le vis,

O Père, le regard de ses grands yeux ravis

Se réveilla; pareil à l’oiseau qui se pose,

Un sourire courut sur sa lèvre de rose;

Ses bras et ses pieds nus étaient pâles encor

Tandis que son beau front dans la lumière d’or

Frissonnait, comme un lys où la clarté se joue;

Une aube rougissait, tremblante, sur sa joue;

Et toi, qui n’avais pas gardé l’espoir en vain,

Pâle, tu bénissais le voyageur divin,

Celui dont la pitié pour ceux que nous aimâmes

Nous rend un jour leur voix, leurs yeux, leurs bras, leurs âmes,

Et qui, voyant ta peine amère et ton tourment,

T’avait dit: Ne crains rien, père, crois seulement!
Paris, le lundi 15 mai 1876.

Théodore de Banville

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