La Fontaine de Jouvences

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Magnus ab integro saeclorum nascitur ordo.

Virgile.
Il est une fontaine heureuse, dont l’eau tombe

Dans un bassin plus blanc qu’une aile de colombe ;

Cette eau limpide, avec de clairs rayonnements,

Sur les dauphins de marbre éclate en diamants.
Elle rend aux vieillards la jeunesse et la force.

Mille jeunes Cypris, fières de leur beau torse,

Sur l’azur de ses flots qui ne sont point amers

Lèvent un pied plus blanc que la perle des mers.
Celles qui n’aimaient plus les tourterelles blanches,

Et ne tressaillaient pas dans le mois des pervenches,

Ceux que laissaient glacés la Lyre et le bon vin,

Sortent joyeux et beaux de ce Léthé divin ;
Non beaux comme autrefois d’une beauté sévère,

Mais semblables aux Dieux qui boivent à plein verre

Le feu que le Titan pour nous a dérobé,

Et qui puisent le vin dans la coupe d’Hébé.
La Naïde aux yeux bleus, qui pleure goutte à goutte,

Noie au fond de leur cœur la tristesse et le doute,

Et, tournant leur esprit vers les biens éternels,

Leur montre l’Idéal dans les plaisirs charnels.
Voyez-les, souriants, fiers de leur belle taille,

Dans ces riches habits de fête et de bataille

Qui relèvent la mine, et qu’aux siècles anciens

Peignaient avec amour les grands Vénitiens.
Les couples sont épars : de jeunes femmes rousses

Dont les yeux rallumés sont pleins de clartés douces,

Avec leurs amoureux assis sur le gazon

Effeuillent les bouquets de leur jeune saison.
L’une parle à mi-voix, et, comme en un méandre,

Erre par les sentiers de la carte du Tendre ;

Celle-là, fière enfin de vivre et de se voir,

Tantôt joue, et ternit l’acier de son miroir.
Tandis qu’à ses genoux son compagnon étale,

Jeune et fort comme un dieu, la grâce orientale,

Une verse du vin dans le verre incrusté

D’un jeune cavalier debout à son côté.
Plus loin, deux rajeunis, sur la mousse des plaines,

Mêlent dans un baiser les fleurs de leurs haleines ;

Et, seins nus, une vierge en fleur, sans embarras,

Tord ses cheveux luisants qui pleurent sur ses bras.
Dans l’humide vapeur de sa métamorphose,

Blanche encore à demi comme une jeune rose,

Une autre naît au monde, et ses beaux yeux voilés

Argentent l’eau d’azur de rayons étoilés.
Dans les vagues lointains l’une l’autre s’enchantent,

Agitant leurs tambours dont les clochettes chantent,

De galantes beautés, honneur de ces pourpris,

Qui teignent l’air limpide à leur rose souris.
Et tous ces nouveau-nés de qui l’âme ravie

Connaît le prix des biens qui font aimer la vie,

Sans trouble et sans froideur cèdent à leurs désirs,

Et vident lentement la coupe des plaisirs.
O doux cygnes chanteurs, vous que la Poésie

Retrempe incessamment dans son onde choisie,

Amis, soyons pareils à ces beaux jeunes gens :

Créons autour de nous des cieux intelligents.
Cherchons au fond du vin les sciences rebelles,

Et l’amour idéal sur les lèvres des belles,

Et dans leurs bras, qu’anime une calme fierté,

Rêvons la Jouissance et l’Immortalité.
Mai 1844.

Théodore de Banville

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