La Lyre dans les Bois
Petit Prologue pour une symphonie comique
I
Le musicien, fils des Dieux,
Est maître absolu de notre âme,
Et dans l’Infini radieux
Il l’emporte en son vol de flamme.
Il est le maître, il est le roi,
Sans fusils ni canons de cuivre,
Sans batailles pâles d’effroi;
Dès qu’il ordonne, il faut le suivre.
Donc, –il le veut,– partons, fuyons,
Quittons pour ses apothéoses
Cette fête où dans les rayons
Resplendissent les lèvres roses;
Cette fête aux aspects charmants
Où parmi les flammes fleuries
Brillent les éblouissements
Des femmes et des pierreries.
Il va, le chanteur inspiré:
Suivons-le d’un vol énergique
Au loin, sous le ciel azuré,
Dans la grande forêt magique;
Au bois, où se mêlent encor
Sous les ombres silencieuses
Le divin rire aux notes d’or
Et les larmes délicieuses;
Où du sein des antres profonds
Les oiseaux donnent la réplique
A des virtuoses bouffons
Jouant un air mélancolique.
Là, comme un seigneur espagnol,
Tandis que Vénus étincelle,
Le mélodieux rossignol
Se plaint d’amour à la crécelle.
Puis, dans un triste adagio,
La trompette gémit et pleure
Sur notre époque d’agio
Que jamais un rêve n’effleure!
Caille, coucou, dans le verger
Tout s’évertue et bat des ailes;
Et celle qui d’un pied léger
Bondit sur les herbes nouvelles,
La Danse, folle du tambour,
Brisant le lien qui la sangle,
Bondit, haletante d’amour,
Et s’envole avec le triangle!
II
Voix, parlez aux rameaux flottants;
Musique, enchante la ravine!
Tenez, mesdames, de tout temps
Ce fut de même, j’imagine,
Sur l’herbe et dans les noirs ravins
Et parmi la feuillée obscure,
Un échange de chants divins
Entre la Lyre et la Nature!
Au temps où les bêtes pleuraient,
Dans la sainte nature fée
Les lions soumis adoraient
Un chanteur qu’on nommait Orphée,
Car (dans mon rêve je le vois
Éveillant les antres sonores)
Il avait dans sa grande voix
L’éblouissement des aurores,
La profondeur des cieux, le son
Qui monte des sphères sacrées,
L’horreur des bois et le frisson
Des étoiles enamourées.
A l’Opéra l’on eût sifflé,
Mais les panthères et la lice,
N’ayant pas sur elles de clé,
N’y cherchaient pas tant de malice,
Et les tigres dans les déserts
Dédaignaient la façon banale
De bâiller à tous les beaux airs,–
N’ayant pas de loge infernale.
Dans l’ombre des rochers épars
Ou groupés sous un noir mélèze,
Les onces et les léopards
Tout bonnement se pâmaient d’aise;
En ces temps naïfs, aucun d’eux
N’avait peur de paraître bête,
Et de leurs bons mufles hideux
Ils léchaient les pieds du poëte.
III
Oh! s’envoler comme Ariel!
Quitter la terre avec délire,
Prêter l’oreille aux voix du ciel
Et ne pas dédaigner la Lyre!
Pauvres gens, — qui nous enivrons
D’entendre une horrible Victoire
Mugir avec les noirs clairons, –
Ce serait notre seule gloire!
Dans ce cas-là, si nous voulions,
Nous aurions peut-être, je pense,
Autant d’esprit que les lions:
Ce serait notre récompense.
Rappelez-vous ce mot vanté
De Shakspere, qui divinise
Le doux clair de lune enchanté
C’est dans Le Marchand de Venise.
Lorenzo, qui sur tous les tons
Peignait son amour jeune et folle,
Dit à sa maîtresse: Écoutons
La musique, — ô sainte parole!
Et voici que les deux amants
Écoutent dans la nuit sans voiles
Les purs concerts des instruments
Se mêler au chant des étoiles.
Oh! puisque le musicien,
Nous emportant dans l’harmonie,
Nous prend, libres de tout lien,
Sur les ailes de son génie;
Puisque, nous enivrant d’accords,
Nous pouvons avec un sourire
Entendre la harpe et les cors,
Comme les amants de Shakspere,
Faisons comme eux: envolons-nous
Au delà du monde physique,
Et, comme dit en mots si doux
Le maître, — écoutons la musique!
Mai 1867.