La Sainte Bohème

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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…Il chanta d’une voix tonnante à laquelle

nous répondîmes en chœur : Vive la Bohême !

George Sand, La dernière Aldini.
Par le chemin des vers luisants,

De gais amis à l’âme fière

Passent aux bords de la rivière

Avec des filles de seize ans.

Beaux de tournure et de visage,

Ils ravissent le paysage

De leurs vêtements irisés

Comme de vertes demoiselles,

Et ce refrain, qui bat des ailes,

Se mêle au vol de leurs baisers :
Avec nous l’on chante et l’on aime,

Nous sommes frères des oiseaux.

Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux,

Et vive la sainte Bohème !
Fronts hâlés par l’été vermeil,

Salut, bohèmes en délire !

Fils du ciseau, fils de la lyre,

Prunelles pleines de soleil !

L’aîné de notre race antique

C’est toi, vagabond de l’Attique,

Fou qui vécus sans feu ni lieu,

Ivre de vin et de génie,

Le front tout barbouillé de lie

Et parfumé du sang d’un dieu !
Avec nous l’on chante et l’on aime,

Nous sommes frères des oiseaux.

Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux,

Et vive la sainte Bohème !
Pour orner les fouillis charmants

De vos tresses aventureuses,

Dites, les pâles amoureuses,

Faut-il des lys de diamants ?

Si nous manquons de pierreries

Pour parer de flammes fleuries

Ces flots couleur d’or et de miel,

Nous irons, voyageurs étranges,

Jusque sous les talons des anges

Décrocher les astres du ciel !
Avec nous l’on chante et l’on aime,

Nous sommes frères des oiseaux.

Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux,

Et vive la sainte Bohème !
Buvons au problème inconnu

Et buvons à la beauté blonde,

Et, comme les jardins du monde,

Donnons tout au premier venu !
Un jour nous verrons les esclaves

Sourire à leurs vieilles entraves,

Et, les bras enfin déliés,

L’univers couronné de roses,

Dans la sérénité des choses

Boire aux Dieux réconciliés !
Avec nous l’on chante et l’on aime,

Nous sommes frères des oiseaux.

Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux,

Et vive la sainte Bohème !
Nous qui n’avons pas peur de Dieu

Comme l’égoïste en démence,

Au-dessus de la ville immense

Regardons gaîment le ciel bleu !

Nous mourrons ! mais, ô souveraine !

O mère ! ô Nature sereine !

Que glorifiaient tous nos sens,

Tu prendras nos cendres inertes
Pour en faire des forêts vertes

Et des bouquets resplendissants !
Avec nous l’on chante et l’on aime,

Nous sommes frères des oiseaux.

Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux,

Et vive la sainte Bohème !
Juin 1847.

Théodore de Banville

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