La Statue de Victor Hugo

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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HUGO, le maître de la Lyre

Où chante un souffle aérien,

Montre en son bienveillant sourire

Qu’il n’est désabusé de rien.
Le Temps jaloux, qui nous asiège,

L’a rendu plus fort et meilleur,

Et sa douce barbe de neige

A des blancheurs d’astre et de fleur.
A présent, c’est la certitude

Qui baigne ses yeux de clarté,

Et sa glorieuse attitude

Est celle de la Vérité.
Il sait. Il a vu les mêlées,

Les deuils, les colères, les pleurs,

Les misères échevelées,

Le groupe sombre des Douleurs.
L’âpre Exil, qui livre avec joie

L’homme au courroux des éléments,

L’a promené, comme une proie,

Sous les tristes cieux incléments.
Ayant encor dans son oreille

La plainte des longs jours vécus

Au bruit de la grêle pareille,

Et les hurlements des vaincus.
Il a dormi sous la tourmente,

Bercé par les amers sanglots

De la vaste mer écumante

Et par le tumulte des flots.
Livide, il a vu sous l’orage,

Parmi les éclairs enflammés,

Baver les monstres du naufrage,

Ainsi que des chiens affamés.
Il a vu la colline ardue

Où gémissent les maux soufferts

Et sa Pensée est descendue

A travers les pâles enfers.
Puis sur les ailes de ses Rêves

S’enfuyant d’un vol fier et sûr,

Il a vu, brandissant leurs glaives,

Les Anges guerriers de l’azur;
Là-haut ses prunelles savantes

Ont vu les gouffres radieux,

Les désastres, les épouvantes,

Les antres flamboyants des Dieux,
La voûte de soleils trouée;

Et la blanche neige fleurit

Sa chevelure dénouée

Par les quatre vents de l’esprit.
Il sait tout. Il sait que la brume

De la Mort est faite de jour,

Et que le Verbe se résume

Tout entier dans le mot AMOUR!
Trouvant la victoire morose,

Il se plaît, lui le triomphant,

A voir fleurir comme une rose

La bouche d’un petit enfant.
Et lui, le combattant superbe

Devant qui le monstre a frémi,

Il s’inquiète du brin d’herbe

Qui peut sauver une fourmi.
Alors que Paris pris au piège

Goûtait l’ivresse du danger,

Et parmi les horreurs du siège

N’avait plus de pain à manger,
Il est revenu, fort, candide,

Pareil au lion calme et doux,

Et de notre souffrance avide,

Voulant avoir faim avec nous.
Les regards tournés vers l’aurore,

Il vit rayonnant, au milieu

De cette ville qu’il adore;

Et maintenant, il semble un dieu!
Groupe souriant et prospère,

Les petits-enfants demi-nus

Caressent le héros grand-père

Avec des rires ingénus.
Le peuple, comme un flot qui roule,

Accourt dès que son front a lui,

Et la grande voix de la foule

Murmure avec des pleurs: C’est lui!
Et, terrifiant les Méduses,

Derrière lui vient se ranger

Le docile troupeau des Muses,

Dont il est le divin berger.
S’il fait un signe, la Satire,

Lorsque l’homme sert de jouet

Aux artisans de son martyre,

Agite son terrible fouet;
Et l’Épopée au coeur farouche

Vient, avec l’éclair dans les yeux

Dans la mêlée, à pleine bouche

Mordre les clairons furieux.
Sur le théâtre, Melpomène,

Pour l’univers et la cité,

Émeut de la souffrance humaine

Cet Eschyle ressuscité,
Et s’il le veut, la Comédie

Sourit au Drame son voisin,

Et montre, danseuse étourdie,

Son front couronné de raisin!
Descendant pour lui du Taygète

Dans la vallée où sont les lys,

L’Églogue les cueille, et les jette

Sur les pieds blancs d’Amaryllis,
Dans le bois sombre, il est Orphée.

Les loups par la nuit épiés,

Retenant leur rage étouffée,

Viennent se coucher à ses pieds.
Et charmant le désert féerique,

Dans l’ouragan torrentiel,

Son ardente strophe lyrique

S’envole aux quatre vents du ciel.
O grand aïeul! ô sage Homère,

Toi que j’adore et que je vois!

O toi qui d’Hellas notre mère

Es la sublime et sainte voix!
O Dante! ô Pindare! ô Shakspere!

Chanteurs couronnés de rayons

En qui le ciel même respire,

Votre frère, nous le voyons.
O groupe dont l’esprit nous venge!

Votre frère vit parmi nous,

Victorieux comme un archange.

Oh! voyez-le, terrible et doux!
L’Avenir, qui déjà le fête,

Nous dira sans doute, effaré:

O contemporains du Poëte,

Comment l’avez-vous célébré?
Oh! que bien vite sa statue,

Sublime épanouissement,

Se dresse, de blancheur vêtue,

Sous le radieux firmament!
Que ce penseur, figure altière,

Devant les bons et les méchants

Revive, dans une matière

Immortelle comme ses chants.
Que la France, à qui sa grande âme

Sut tendrement se marier,

Avec des pleurs d’orgueil acclame

Son beau front, ceint du noir laurier.
Debout sur la place publique

Montrons-le, ce vainqueur du Mal,

Sous un vêtement héroïque

Taillé dans le marbre idéal;
Et comme une immense couleuvre

Dont l’anneau jamais ne finit,

Faites se dérouler son oeuvre

Sur le piédestal de granit.
Statuaire! que ta main taille

Le marbre pris au flanc des monts,

Et sache lui donner la taille

De Hugo, tel que nous l’aimons.
Qu’il soit grand comme son poëme!

Tourne ses yeux vers l’Orient;

Fais-le si pareil à lui-même,

Qu’on reconnaisse en le voyant
Le songeur doux et tutélaire,

L’ennemi du noir talion, –

Et, pour figurer sa Colère,

Que près de lui dorme un lion.

Théodore de Banville

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