L’Ame victorieuse du Désir
Le dieu Désir, l’archer sauvage
Qui rit, sur un gouffre penché,
A longtemps dans un dur servage
Tenu la tremblante Psyché.
Bien longtemps il l’a torturée,
Piquant son sein charmant et beau
Avec une flèche acérée,
Ou la brûlant de son flambeau.
La traînant dans l’herbe fleurie,
Folle sous son bras souverain,
Il l’a déchirée et meurtrie
Avec de durs liens d’airain.
Encor rouge de sa brûlure,
O noirs crimes inexpiés,
En marchant sur sa chevelure,
Il l’a longtemps foulée aux pieds,
Et puis mourante, échevelée,
Plus pâle que le nénuphar,
Il l’a, dans sa rage, attelée
Comme une cavale, à son char;
Et devant lui, de cette vierge
Faisant sa proie et son jouet,
Au bord du fleuve, sur la berge
Il l’a chassée à coups de fouet.
Et vainement l’humble victime,
Dans ses horribles désespoirs,
Adjurait le grand mont sublime
Et les bois frissonnants et noirs;
La Nature, que rien ne touche,
Parmi les rochers arrogants
La regardait passer, farouche,
Dans les cris et les ouragans.
Et le vent courait dans les chênes,
Et l’imprécation des flots
Étouffait le bruit de ses chaînes
Et la rumeur de ses sanglots.
Mais, longtemps mordue et fouettée
Par les souffles éoliens,
Psyché s’est enfin révoltée,
Elle a brisé ses durs liens;
Et trouvant une force étrange
Pour l’arrêter et le saisir,
Elle a renversé dans la fange
Et terrassé le dieu Désir;
Tordant sa bouche purpurine,
Elle a, d’un beau geste moqueur,
Broyé du genou la poitrine
De son implacable vainqueur;
Et dans sa fureur vengeresse
Elle a, guerrière au doux oeil bleu,
Fustigé de sa blonde tresse
Le visage du jeune Dieu.
Relevant son front misérable,
Elle a, riant au ciel serein,
Brisé l’arc fait en bois d’érable,
Et les flèches, lourdes d’airain.
Puis, fière en sa métamorphose
Qui semble un éblouissement,
Elle a, sous son divin pied rose,
Éteint le noir flambeau fumant.
Et maintenant le Dieu l’adore!
Lui, le cruel Désir, touché
Par la grâce qui la décore,
Il suit la trace de Psyché.
Il lui dit: O ma jeune amante!
O mon trésor! O mon seul bien!
Parle-moi de ta voix charmante,
Je t’obéirai comme un chien.
Tes colères seront mes fêtes;
Laisse-moi te parer de fleurs.
Ces blessures que je t’ai faites,
Je les laverai de mes pleurs.
Tu m’as dompté, vierge farouche,
Comme je domptais les lions.
Ouvre les roses de ta bouche:
Parle! où veux-tu que nous allions?
Alors, oubliant ses désastres,
Tournant ses yeux de diamant
Vers l’azur ou brillent les astres,
Psyché lui dit: O mon amant!
Puisque nos regards se dessillent,
Traversons l’éther irrité;
Allons jusqu’au séjour où brillent
La Justice et la Vérité;
Où l’Être enfin se rassasie,
Délivré des âpres douleurs,
Où les Dieux goûtent l’ambroisie
En contemplant de rouges fleurs,
Et savent ce que l’âme ignore,
Et dans un ineffable jour
Sans crépuscule et sans aurore,
S’enivrent de l’immense amour!
Elle dit, et le Dieu l’embrasse;
Il la tient d’un bras ferme et sûr,
Et tous les deux, laissant leur trace
Lumineuse au subtil azur,
Cherchant, par delà les étoiles,
Le clair Éden où, pour l’esprit
Enfin délivré de ses voiles,
L’extase, ainsi qu’un lys, fleurit,
Et le flot où l’Ame se noie
Dans le bonheur essentiel,
Ils s’envolent, pâles de joie,
Jusqu’au fond des gouffres du ciel.
19 mai 1875.