L’Ame victorieuse du Désir

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Le dieu Désir, l’archer sauvage

Qui rit, sur un gouffre penché,

A longtemps dans un dur servage

Tenu la tremblante Psyché.
Bien longtemps il l’a torturée,

Piquant son sein charmant et beau

Avec une flèche acérée,

Ou la brûlant de son flambeau.
La traînant dans l’herbe fleurie,

Folle sous son bras souverain,

Il l’a déchirée et meurtrie

Avec de durs liens d’airain.
Encor rouge de sa brûlure,

O noirs crimes inexpiés,

En marchant sur sa chevelure,

Il l’a longtemps foulée aux pieds,
Et puis mourante, échevelée,

Plus pâle que le nénuphar,

Il l’a, dans sa rage, attelée

Comme une cavale, à son char;
Et devant lui, de cette vierge

Faisant sa proie et son jouet,

Au bord du fleuve, sur la berge

Il l’a chassée à coups de fouet.
Et vainement l’humble victime,

Dans ses horribles désespoirs,

Adjurait le grand mont sublime

Et les bois frissonnants et noirs;
La Nature, que rien ne touche,

Parmi les rochers arrogants

La regardait passer, farouche,

Dans les cris et les ouragans.
Et le vent courait dans les chênes,

Et l’imprécation des flots

Étouffait le bruit de ses chaînes

Et la rumeur de ses sanglots.
Mais, longtemps mordue et fouettée

Par les souffles éoliens,

Psyché s’est enfin révoltée,

Elle a brisé ses durs liens;
Et trouvant une force étrange

Pour l’arrêter et le saisir,

Elle a renversé dans la fange

Et terrassé le dieu Désir;
Tordant sa bouche purpurine,

Elle a, d’un beau geste moqueur,

Broyé du genou la poitrine

De son implacable vainqueur;
Et dans sa fureur vengeresse

Elle a, guerrière au doux oeil bleu,

Fustigé de sa blonde tresse

Le visage du jeune Dieu.
Relevant son front misérable,

Elle a, riant au ciel serein,

Brisé l’arc fait en bois d’érable,

Et les flèches, lourdes d’airain.
Puis, fière en sa métamorphose

Qui semble un éblouissement,

Elle a, sous son divin pied rose,

Éteint le noir flambeau fumant.
Et maintenant le Dieu l’adore!

Lui, le cruel Désir, touché

Par la grâce qui la décore,

Il suit la trace de Psyché.
Il lui dit:  O ma jeune amante!

O mon trésor! O mon seul bien!

Parle-moi de ta voix charmante,

Je t’obéirai comme un chien.
Tes colères seront mes fêtes;

Laisse-moi te parer de fleurs.

Ces blessures que je t’ai faites,

Je les laverai de mes pleurs.
Tu m’as dompté, vierge farouche,

Comme je domptais les lions.

Ouvre les roses de ta bouche:

Parle! où veux-tu que nous allions?
Alors, oubliant ses désastres,

Tournant ses yeux de diamant

Vers l’azur ou brillent les astres,

Psyché lui dit:  O mon amant!
Puisque nos regards se dessillent,

Traversons l’éther irrité;

Allons jusqu’au séjour où brillent

La Justice et la Vérité;
Où l’Être enfin se rassasie,

Délivré des âpres douleurs,

Où les Dieux goûtent l’ambroisie

En contemplant de rouges fleurs,
Et savent ce que l’âme ignore,

Et dans un ineffable jour

Sans crépuscule et sans aurore,

S’enivrent de l’immense amour!
Elle dit, et le Dieu l’embrasse;

Il la tient d’un bras ferme et sûr,

Et tous les deux, laissant leur trace

Lumineuse au subtil azur,
Cherchant, par delà les étoiles,

Le clair Éden où, pour l’esprit

Enfin délivré de ses voiles,

L’extase, ainsi qu’un lys, fleurit,
Et le flot où l’Ame se noie

Dans le bonheur essentiel,

Ils s’envolent, pâles de joie,

Jusqu’au fond des gouffres du ciel.
19 mai 1875.

Théodore de Banville

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