L’Antre
Au milieu d’un monceau de roches accroupies
Sur le chemin qui va de Leuctres à Thespies,
Un antre affreux s’ouvrait, sinistre, horrible à voir.
Des buissons monstrueux tombaient de son flanc noir
Hérissés et touffus comme une chevelure,
Et dans la pierre en feu, qu’une rouge brûlure
Dévore, étaient gravés sur son front ruiné
Ces mots : Ici gémit l’éternel condamné.
Rien n’obstruait le seuil de la sombre caverne.
Hercule entra. Dans l’ombre, auprès d’une citerne
Dont le flot n’a jamais regardé le ciel bleu,
Sur des ossements d’homme était assis un Dieu.
Or il avait vécu plus d’ans que la mémoire
N’en rêve ; son vieux crâne était comme l’ivoire ;
Lui-même d’une flèche il déchirait son flanc ;
À force de pleurer ses yeux n’étaient que sang,
Il semblait un oiseau farouche, pris au piège,
Et le vent frissonnait dans sa barbe de neige.
Près de lui, devant lui, partout, des ossements
Blanchissaient sur le sol ténébreux. Par moments,
Un grand fleuve de pleurs débordait son œil terne,
Et le beau vieillard-dieu pleurait dans la citerne.
Le fils d’Amphitryon fut saisi de pitié.
Oh ! dit-il, sombre aïeul durement châtié,
Que fais-tu loin du ciel dont notre œil est avide ?
Qui te retient ainsi dans ce cachot livide ?
Ton désespoir est-il si vaste et si profond
Que tes larmes aient pu remplir ce puits sans fond ?
Viens dans la plaine, où sont les ruisseaux et les chênes !
Sur tes bras affaiblis je ne vois pas de chaînes.
D’ailleurs, je suis celui qui les brise ; je puis,
Si tu le veux, jeter ce rocher dans ce puits ;
Quelque Dieu qu’ait maudit ta bouche révoltée,
Je te délivrerai, fusses-tu Prométhée !
Le vieillard exhalait des sanglots étouffants.
Hercule dit : Suis-moi, laisse aux petits enfants
Cette lâche terreur et cette angoisse folle.
Il n’est pas de douleur qu’un ami ne console ;
Viens avec moi, remonte à la clarté du jour !
– Non, répondit le grand vaincu, je suis l’Amour.
Janvier 1863.