L’Apothéose de Ronsard
Prince des Poëtes français
A Prosper Blanchemain le pieux éditeur de Ronsard
O mon Ronsard, ô maître
Victorieux du mètre,
O sublime échanson
De la chanson!
Divin porteur de lyre,
Que voulurent élire
Pour goûter leurs douceurs
Les chastes Soeurs!
Toi qui, nouveau Pindare,
De l’art savant et rare
De Phoebos Cynthien
Faisant le tien,
A l’ivresse physique
De ta folle musique
Sagement as mêlé
Le rhythme ailé!
Père! que ma louange
Te célèbre et te venge,
Et, comme vers mon Roi,
Monte vers toi!
Mais que dis-je? l’Envie
Qui déchira ta vie
Ne mord plus de bon coeur
Ton pied vainqueur,
Et, nette de souillure,
Ta belle gloire pure
Va d’un nouvel essor
Aux astres d’or.
Ton nom deux fois illustre
A retrouvé son lustre,
Comme il l’avait jadis
Au temps des lys,
Et toi, dans l’aube rose
De ton apothéose
Tu marches, l’oeil en feu,
Ainsi qu’un Dieu.
Tenant ton luth d’ivoire,
Près d’une douce Loire
A la berceuse voix,
Je te revois
Dans un jardin féerique,
Où le troupeau lyrique
Enchante de tes vers
Les bosquets verts.
Là, Du Bellay t’honore,
Et je retrouve encore
Près de cette belle eau
Remy Belleau
Et Pontus et Jodelle
Et Dorat, ton fidèle,
Et ce chanteur naïf,
Le vieux Baïf.
Avec eux, ces Déesses,
Les hautaines Princesses
Du sang pur des Valois,
Suivent tes lois
Et servent ton Hélène
A la suave haleine,
De qui la lèvre leur
Semble une fleur,
Et Cassandre, et Marie
Qui, rêveuse, marie
La rose dans sa main
Au blanc jasmin.
Mais Vénus parmi l’herbe
Est aussi là, superbe;
Les fleurs, pour la parer,
Laissent errer
Leurs ombres sur sa joue;
Quelquefois elle joue
Avec l’arc triomphant
De son enfant.
Et les saintes pucelles,
Qui mêlent d’étincelles
Et de feux adorés
Leurs crins dorés,
Levant leurs bras d’albâtre,
Vous suivent, choeur folâtre
De votre voix épris,
Dans ces pourpris.
Mais voici que tu chantes!
Et tes strophes touchantes
Déroulent leurs accords
Divins; alors,
Ronsard, tout fait silence:
La fleur qui se balance,
Le ruisseau clair, l’oiseau
Et le roseau;
Le Fleuve à la voix rauque,
Montrant sa barbe glauque,
Fait taire les sanglots
De ses grands flots;
Dans les cieux qui te fêtent
Les étoiles s’arrêtent
Et suspendent les airs
De leurs concerts;
On n’entend que ton Ode,
Qu’après toi, dans le mode
Ancien, le choeur ravi
Chante à l’envi.
Et chacun s’en récrée,
Hélène, Cythérée,
Déesses de la cour,
Enfant Amour,
Muses aux belles bouches;
Et les astres farouches
Restent silencieux
Au front des cieux.
Avril 1868.