L’Arbre de Judée

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Mais ne serait-ce pas plutôt un jeune

rameau du délicieux arbuste consacré à

l’Amour, lorsque, consumé par Siva dans un

accès de colère, il vint à renaître mille

fois plus charmant encore, grâce à la

céleste ambroisie dont l’arrosèrent les dieux ?

Calidasa.
Lorsque Mai rougissant rassérène les coeurs

Et que sourit à tous la terre fécondée,

Quand sur les verts gazons Chloris mène des choeurs,

Il fleurit dans le parc un arbre de Judée.
C’est un arbre tout rose, et sans feuilles d’abord,

Un tout harmonieux que rien autre n’égale.

Ses longs rameaux, groupés dans un parfait accord,

Ont l’air de supporter des roses du Bengale.
Quand la feuille leur met son beau satin ouvert,

Ils sont plus doux encore au regards de l’artiste ;

La pourpre s’adoucit près du feuillage vert,

Et la tendre émeraude encadre l’améthyste.
Puisque c’est à présent que mon arbre fleurit,

Je veux, couché sur l’herbe, oubliant toutes choses,

Dans ses vivants écrins égarer mon esprit,

Et pendant un moment faire des songes roses.
Voyez comme l’azur est calme et reposé,

Comme on se sent heureux sans en savoir les causes,

Comme l’herbe frémit sur le sol arrosé,

Comme le ciel couchant est riche en fleurs écloses !
Sous ces bosquets charmants, épanouis pour eux,

Pleins d’ombrages secrets et de faibles murmures,

Voyez ces beaux enfants, ces couples amoureux

Qui vont en écartant les épaisses ramures.
C’est toi, belle Rosine ! Hélas ! le vert rideau

Nous dérobe tes pieds, les plus charmants du monde.

C’est toi, folle Rosette avec ton Orlando !

Pauvre morte amoureuse, est-ce toi, Rosemonde ?
Quel est ce bruit de cor qui passe dans les bois ?

C’est la chasse qui vient : salut, blanches marquises !

Mettez les coeurs en flamme et le cerf aux abois,

Vos paniers de satin ont des façons exquises.
Près de ce rocher blanc taillé comme un autel,

Ainsi qu’un lévrier l’eau folâtre et se dresse.

Pardieu ! c’est la marquise, avec son air cruel,

Qui se baigne là-bas en nymphe chasseresse.
Il manque un Actéon, ce sera le mari :

Il a tout ce qu’il faut, et pourrait en revendre.

Abbé ! votre musique est un charivari !

Vous soupirez, Églé ! Que vous a fait Silvandre ?
C’est ainsi que je rêve aux temps des Pompadours.

Et lorsqu’un bruit aigu, conne un cri de cigale,

Fait envoler le rêve, il me reste toujours

Mon arbre de Judée aux roses du Bengale.
Mai 1844.

Théodore de Banville

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