L’Attrait du gouffre

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Oh ! que me voulez-vous, lueurs vertigineuses ?

Divin silence, attrait du néant, laisse-moi !

Ainsi la mer, songeant par les nuits lumineuses,

Me faisait tressaillir de tendresse et d’effroi.
Ces yeux où les chansons des sirènes soupirent,

Océans éperdus, gouffres inapaisés,

Bleus firmaments où rien ne doit vivre, m’inspirent

La haine de la joie et l’oubli des baisers.
Les yeux pensifs, les yeux de cette charmeresse

Sont faits d’un pur aimant dont le pouvoir fatal

Communique une chaste et merveilleuse ivresse

Et ce mal effréné, la soif de l’Idéal.
Ils ne s’abritent pas, solitudes sans voiles,

Sous des cils baignés d’or et sous de fiers sourcils ;

Ondes où vont mourir les flèches des étoiles,

Rien ne cache au regard leur mirage indécis.
Ce sont les lacs sans borne où s’égare mon âme ;

Leur azur éthéré, vaste et silencieux,

Saphir terrible et doux, sans lumière et sans flamme,

Vole sa transparence à d’ineffables cieux.
Je sais que ce désert plein de mélancolie

Engloutit mon courage en vain ressuscité,

Et que je ne peux pas, sans trouver la folie,

Chercher ta perle, Amour ! dans cette immensité.
L’éblouissement clair de ces froides prunelles

Où le féroce Ennui voudrait à son loisir

Savourer le poison des langueurs éternelles

M’enchante et me ravit dans un vague désir.
Il n’est plus temps de fuir, laisse toute espérance !

Ils m’ont appris, ces flots aux cruelles pâleurs,

Les voluptés du calme et de l’indifférence,

Et l’extase a tari la source de mes pleurs.
L’abîme où, sans retour, mon rêve s’embarrasse,

Semble immobile ; mais je le sens tournoyer.

Comme une lèvre humide, il m’attire et m’embrasse,

Et ma lâche raison frémit de s’y noyer.
Eh bien, je poursuivrai mon destin misérable :

Par-delà le fini, par-delà le réel,

Je veux boire à longs traits cette angoisse adorable

Et souffrir les ennuis de ce bonheur mortel.
Bellevue, avril 1858.

Théodore de Banville

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