L’Aveugle
Un cavalier disait à Milton : « Je vous plains !
Car vos yeux, de colère et d’espérance pleins,
Qui déchiraient la voûte où le soleil gravite,
S’égarent, fous d’horreur, dans la nuit sans limite.
Comme un aigle banni du mont aérien
Dans un sombre cachot, vous ne voyez plus rien
Sur cette terre aux feux du ciel irradiée ;
Ni le couchant avec sa pourpre incendiée,
Ni le terrible azur et la blancheur des lys !
— Il est vrai, dit Milton, que mes regards, jadis
Plus éclatants que ceux des poètes célèbres,
Succombent maintenant sous d’épaisses ténèbres :
Mais c’est parce que Dieu, voyant mes ennemis
Jaloux de cette paix profonde où je frémis
Seulement d’allégresse en chantant ses louanges,
A pour me soutenir envoyé ses grands Anges.
Calmes, armés du glaive et répandant l’effroi,
Invisibles pour tous, ils volent devant moi
Épouvantant ma face et cachant mes prunelles,
Et cette nuit farouche est l’ombre de leurs ailes. »
Nice, mai 1860.