Le Flan dans l’Odéon
Avant que la brise adultère
Qui fait le charme des hivers,
N’émaille de recueils de vers
Les parapets du quai Voltaire ;
Avant que Chaumier Siméon
N’ait publié ses hexamètres,
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l’Odéon !
Des journaux qui mettent leur liste
Dans l’Annuaire officiel,
Il n’en est pas qui sous le ciel
Soit plus mordoré que L’Artiste.
Messieurs Paul, Arthur et Léon
En sont les rédacteurs champêtres…
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l’Odéon !
Il n’est pas de revue alpestre,
Pas de recueil ni de journal,
Soit chez Bertin ou Jubinal,
Où viennent, vers la Saint-Sylvestre,
Plus de ces chevaliers d’Éon
Moitié lorettes, moitié reîtres…
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l’Odéon !
Nulle part, dans le ciel sans brise,
Les jeunes gens au cœur de feu
Ne regardent d’un œil plus bleu
La lune changer de chemise.
Ainsi la voyait Actéon
Faire la planche sous les hêtres…
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l’Odéon !
A L’Artiste, la grande actrice
Fut Asphodèle Carabas,
Carabas, qu’avec son cabas
Buloz guignait pour rédactrice.
Hélas ! changeant caméléon,
L’Artiste lui tourne les guêtres…
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l’Odéon !
Un étranger vint à L’Artiste,
Jeune, avec un air ahuri.
Était-ce un du Charivari,
Du Furet, du Feuilletoniste ?
Était-il le Timoléon
Des Saint-Almes et des Virmaîtres… ?
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l’Odéon !
On ne savait. L’ange Asphodèle
Fit avec lui deux mille vers.
Les Vermots et les Mantz divers
Derrière eux tenaient la chandelle.
Ils jouaient de l’accordéon
Pour mieux accompagner ces mètres…
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l’Odéon !
La lune était à la fin nue,
Et ses rayons, doux aux rimeurs,
Parmi le gaz des allumeurs
Découpaient en blanc sur la nue
Les chapiteaux du Panthéon,
Pareils à de grands baromètres…
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l’Odéon !
Mais contre Asphodèle rageuses,
Des bas-bleus, confits par Gannal,
Dans le salon bleu du journal
Dansaient des polkas orageuses.
Les élèves de l’Orphéon
Leur chantaient Les Bœufs aux fenêtres…
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l’Odéon !
On voit dormir au nid la caille
Qu’un vautour fauve lorgne en bas :
Telle s’endormait Carabas.
Le jeune homme au lorgnon d’écaille,
C’était le doux Napoléon
Citrouillard, l’un de nos vieux maîtres…
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l’Odéon !
Et, fougueux comme un Transtamare,
Citrouillard, ce dandy sans foi,
La fit un jour, de par le Roi,
Rédactrice du Tintamarre !
Elle y traduit Anacréon
En vers de quatre centimètres…
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l’Odéon !
Septembre 1846.