Le Flan dans l’Odéon

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Avant que la brise adultère

Qui fait le charme des hivers,

N’émaille de recueils de vers

Les parapets du quai Voltaire ;

Avant que Chaumier Siméon

N’ait publié ses hexamètres,

Allez, allez, ô gens de lettres,

Manger du flan dans l’Odéon !
Des journaux qui mettent leur liste

Dans l’Annuaire officiel,

Il n’en est pas qui sous le ciel

Soit plus mordoré que L’Artiste.
Messieurs Paul, Arthur et Léon

En sont les rédacteurs champêtres…

Allez, allez, ô gens de lettres,

Manger du flan dans l’Odéon !
Il n’est pas de revue alpestre,

Pas de recueil ni de journal,

Soit chez Bertin ou Jubinal,

Où viennent, vers la Saint-Sylvestre,

Plus de ces chevaliers d’Éon

Moitié lorettes, moitié reîtres…

Allez, allez, ô gens de lettres,

Manger du flan dans l’Odéon !
Nulle part, dans le ciel sans brise,

Les jeunes gens au cœur de feu

Ne regardent d’un œil plus bleu

La lune changer de chemise.

Ainsi la voyait Actéon

Faire la planche sous les hêtres…

Allez, allez, ô gens de lettres,

Manger du flan dans l’Odéon !
A L’Artiste, la grande actrice

Fut Asphodèle Carabas,

Carabas, qu’avec son cabas

Buloz guignait pour rédactrice.

Hélas ! changeant caméléon,

L’Artiste lui tourne les guêtres…

Allez, allez, ô gens de lettres,

Manger du flan dans l’Odéon !
Un étranger vint à L’Artiste,

Jeune, avec un air ahuri.

Était-ce un du Charivari,

Du Furet, du Feuilletoniste ?

Était-il le Timoléon

Des Saint-Almes et des Virmaîtres… ?

Allez, allez, ô gens de lettres,

Manger du flan dans l’Odéon !
On ne savait. L’ange Asphodèle

Fit avec lui deux mille vers.

Les Vermots et les Mantz divers

Derrière eux tenaient la chandelle.
Ils jouaient de l’accordéon

Pour mieux accompagner ces mètres…

Allez, allez, ô gens de lettres,

Manger du flan dans l’Odéon !
La lune était à la fin nue,

Et ses rayons, doux aux rimeurs,

Parmi le gaz des allumeurs

Découpaient en blanc sur la nue

Les chapiteaux du Panthéon,

Pareils à de grands baromètres…

Allez, allez, ô gens de lettres,

Manger du flan dans l’Odéon !
Mais contre Asphodèle rageuses,

Des bas-bleus, confits par Gannal,

Dans le salon bleu du journal

Dansaient des polkas orageuses.

Les élèves de l’Orphéon

Leur chantaient Les Bœufs aux fenêtres…

Allez, allez, ô gens de lettres,

Manger du flan dans l’Odéon !
On voit dormir au nid la caille

Qu’un vautour fauve lorgne en bas :

Telle s’endormait Carabas.

Le jeune homme au lorgnon d’écaille,

C’était le doux Napoléon

Citrouillard, l’un de nos vieux maîtres…

Allez, allez, ô gens de lettres,

Manger du flan dans l’Odéon !
Et, fougueux comme un Transtamare,

Citrouillard, ce dandy sans foi,

La fit un jour, de par le Roi,

Rédactrice du Tintamarre !

Elle y traduit Anacréon

En vers de quatre centimètres…

Allez, allez, ô gens de lettres,

Manger du flan dans l’Odéon !
Septembre 1846.

Théodore de Banville

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