Le Livre d’Heures de la Châtelaine

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Or la comtesse Yseult avait un livre d’Heures,

Si beau que ses enfants en étaient orgueilleux,

Et que la Reine même, en ses nobles demeures,

N’avait rien de si riche et de si merveilleux.
Un feuillage d’argent couvrait de frêles branches

Le dos clair du missel, et, sans plus d’ornements,

Sur son velours, couleur des premières pervenches,

On voyait resplendir un chiffre en diamants.
Le vélin des feuillets, où des images pures

Se détachaient aussi par un art surhumain,

Prêtait ses fonds de neige à des miniatures

Toutes brillantes d’or, d’azur et de carmin.
Ici veillait Marie, et sur la paille fraîche,

Le bonhomme Joseph admirait en priant

Le Roi de l’univers couché dans une crèche,

Adoré pauvre et nu par les rois d’Orient.
Là, parmi les parfums qui ruisselaient en ondes,

Magdeleine, ravie et pleine de ferveur,

Dénouait ses cheveux, et de leurs nappes blondes

Elle essuyait les pieds de son divin Sauveur.
Ailleurs, sous le berceau d’une treille fleurie,

Où se mêlaient la vigne et le pampre vermeil,

L’enfant Jésus, porté par la Vierge Marie,

Souriait aux raisins inondés de soleil.
Puis, de tendres couleurs toutes enluminées,

Parmi les fonds d’argent par le rose adoucis,

Les légendes des saints dans les lettres ornées

Déroulaient tout au long de merveilleux récits.
Mais le peintre surtout, dans de riches losanges

Encadrés de rubis par son art précieux,

Avait représenté les extases des Anges

Transportés et ravis dans les sphères des cieux.
Les uns, dans le lapis couvert de sombres voiles

De leurs profonds regards teignant l’horizon bleu,

Conduisaient en rêvant des chariots d’étoiles

Et des astres épars aux crinières de feu.
Les autres, murmurant d’harmonieux distiques

Nés de l’embrassement de deux rhythmes charmés,

Tressaient les lys sans tache et les roses mystiques,

Pour ceindre de parfums leurs cheveux enflammés.
Comme sur les étangs les vertes demoiselles,

Ceux-là, rassérénant le splendide outremer,

Faisaient parmi l’éther frissonner leurs six ailes

Et baignaient de rayons les effluves de l’air.
Puis, d’autres s’enchantaient au délire des harpes.

Au bord du firmament penchés sur leurs genoux,

D’autres venaient tisser les suaves écharpes

Qui sont l’arc d’alliance entre le ciel et nous.
Et, parmi les lueurs les plus épanouies,

Humblement prosternés dans la pourpre des soirs,

D’autres, baignés enfin de clartés éblouies,

Jusqu’au Trône élevaient leurs fumants encensoirs.
Or souvent, l’âme prise à toutes ces féeries,

La belle Yseult suivait, les yeux remplis de pleurs,

Les tableaux plus vermeils que mille pierreries

Et le ruissellement de leurs vives couleurs.
Ensuite, regardant la fenêtre où le givre

Fleurit ses tendres lys faits d’un pâle duvet,

Debout et tout émue, elle fermait le livre,

Et pendant bien longtemps alors elle rêvait.
Ses cheveux qu’un bandeau de saphirs illumine,

S’échappant comme un fleuve en flots purs et dorés

Sur son corsage rose orné de blanche hermine,

Faisaient une auréole à ses yeux azurés.
Pensive, elle tenait toujours le livre d’Heures ;

Mais alors s’enfuyant sur des ailes de feu,

Toute à ses visions, flammes intérieures,

Son âme enamourée errait dans le ciel bleu.
Alors il lui semblait, sur le pavé des salles

S’échappant des feuillets de son missel fermé,

Voir fleurir en berceaux les roses idéales

Peintes sur les blancheurs du vélin parfumé.
Près des pâles bleuets, sur qui l’insecte rôde,

Le muguet odorant croissait au pied des lys,

Et sous les gazons verts aux reflets d’émeraude

Se mêlaient la pervenche et le myosotis.
Penchés sur ses cheveux frissonnants comme un saule,

Le vol des Chérubins et les Anges aussi

Touchaient en se jouant son front et son épaule

De leur aile de neige, et lui parlaient ainsi :
O belle et douce Yseult, toi dont la vie est sainte,

Et, toute dévouée à des actes pieux,

Comme un calme ruisseau, s’écoule dans l’enceinte

De la maison bénie où dorment tes aïeux !
Va, cesse d’envier les sereines extases

Et les félicités que nous goûtons sans fin

Dans les cieux de saphir, d’opale et de topazes

Où l’Archange sommeille aux bras du Séraphin.
Car, aux yeux du Seigneur, tes yeux remplis d’étoiles,

Que sur le crucifix tu baisses en priant,

Valent tous les soleils et les astres sans voiles

Que nous guidons en chœur dans l’azur flamboyant.
Tes lèvres sans souillure, et qu’une larme arrose

Lorsqu’on t’implore au nom de son bien aimé Fils,

Valent mieux devant lui que la mystique rose

Rougissante et fleurie entre les divins lys.
Et l’encens de ton cœur, feu que Marie admire

Comme son plus suave et son plus cher trésor,

Monte aussi bien vers Dieu que l’encens ou la myrrhe

Qui fume à ses genoux dans nos encensoirs d’or !
Août 1849.

Théodore de Banville

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