Le Mirecourt
Un jour Dumas passait : les divers gens de lettres
Devant son gousset plein s’inclinaient à deux mètres,
En murmurant : « Ils sont trop verts ! »
Un Mirecourt soudain, fait comme un vilain masque,
Fendit la foule, prit son twine par la basque,
Et lui fit ce discours en vers :
« Alexandre Dumas, compresse de la presse,
Emplâtre qui toujours guéris cette Lucrèce,
Moxa qu’elle se met partout,
Écoute-moi, pacha de ces Maquets sans nombre,
Ombre de Scudéry, qui de Gigogne est l’ombre,
Tu n’es qu’un Pitre et qu’un Berthoud !
Tu gâtes le papier de quatre Lamartines.
Comme un Augu trop plein tu répands tes tartines
Sur Carpentras et Draguignan ;
Ta machine à vapeur fait marcher trois cents plumes,
Et tu fais un gâchis en trente-deux volumes
Des mémoires de d’Artagnan.
Mais ton jour vient. Il faut dans Le Siècle, qui tombe,
Que le premier-Paris sous lui creuse ta tombe !
Dieu te garde un carcan de bois
Dans La Démocratie, un journal de dentiste,
Dans les entre-filets du Globe, et dans L’Artiste,
Feuille qui paraît quelquefois !
Porcher te dira : Baste ! En des recueils intimes,
Tes vieux ours écriront les noms de tes victimes ;
Tu les entendras te crier :
Mort et damnation ! et te traiter de cancre,
Tous ces foetus caducs, ces vieux ours teints de l’encre
Qui n’est plus dans ton encrier !
Cela doit t’arriver, Yacoub, sans que Chambolle,
Solar ni Girardin te soldent une obole
Sur le dernier trimestre échu ;
Lors même que Dumas, ainsi qu’Abdolonyme,
Vieux et plantant ses choux, prendrait le pseudonyme
D’Almanzor ou de Barbanchu ! »
Dumas avait un jonc en bois de sycomore,
Et ce poing de Titan qui sur la tête more
Fait cinq cent vingt pour son écot :
Docile au Mirecourt, il lui laissa tout dire,
Pencha son front rêveur, puis avec un sourire
Fit : « As-tu déjeuné, Jacquot ? »
Octobre 1846.