Le Mirecourt

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Un jour Dumas passait : les divers gens de lettres

Devant son gousset plein s’inclinaient à deux mètres,

En murmurant : « Ils sont trop verts ! »

Un Mirecourt soudain, fait comme un vilain masque,

Fendit la foule, prit son twine par la basque,

Et lui fit ce discours en vers :
« Alexandre Dumas, compresse de la presse,

Emplâtre qui toujours guéris cette Lucrèce,

Moxa qu’elle se met partout,

Écoute-moi, pacha de ces Maquets sans nombre,

Ombre de Scudéry, qui de Gigogne est l’ombre,

Tu n’es qu’un Pitre et qu’un Berthoud !
Tu gâtes le papier de quatre Lamartines.

Comme un Augu trop plein tu répands tes tartines

Sur Carpentras et Draguignan ;

Ta machine à vapeur fait marcher trois cents plumes,

Et tu fais un gâchis en trente-deux volumes

Des mémoires de d’Artagnan.
Mais ton jour vient. Il faut dans Le Siècle, qui tombe,

Que le premier-Paris sous lui creuse ta tombe !

Dieu te garde un carcan de bois

Dans La Démocratie, un journal de dentiste,

Dans les entre-filets du Globe, et dans L’Artiste,

Feuille qui paraît quelquefois !
Porcher te dira : Baste ! En des recueils intimes,

Tes vieux ours écriront les noms de tes victimes ;

Tu les entendras te crier :

Mort et damnation ! et te traiter de cancre,

Tous ces foetus caducs, ces vieux ours teints de l’encre

Qui n’est plus dans ton encrier !
Cela doit t’arriver, Yacoub, sans que Chambolle,

Solar ni Girardin te soldent une obole

Sur le dernier trimestre échu ;

Lors même que Dumas, ainsi qu’Abdolonyme,

Vieux et plantant ses choux, prendrait le pseudonyme

D’Almanzor ou de Barbanchu ! »
Dumas avait un jonc en bois de sycomore,

Et ce poing de Titan qui sur la tête more

Fait cinq cent vingt pour son écot :

Docile au Mirecourt, il lui laissa tout dire,

Pencha son front rêveur, puis avec un sourire

Fit : « As-tu déjeuné, Jacquot ? »

Octobre 1846.

Théodore de Banville

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