Le Piano
Tant pis, j’aime le piano!
Mon maître, au fond de la Scythie
Fort connu, comme à Landerneau,
Aimait l’araignée et l’ortie.
Et pourquoi? Parce qu’on les hait.
Pour moi, j’aime, épris de chimères,
Le piano, parce qu’il est
Plus haï que les belles-mères.
Un rayon sur mon front a lui,
Lorsque l’heure du thé ramène
Ce monstre, affreux comme celui
Du long récit de Théramène.
Devant les dames à turban,
A ses voeux j’aime à condescendre,
Quand sa croupe se recourbe en
Replis de bois de palissandre.
N’ayant pas tremblé pour si peu,
Je supporte ses airs farouches
Et même, le terrible jeu
De ses dents, qu’on nomme: des touches.
Eh! oui, le piano, Meyer
Beer admettait cet ustensile,
Et c’est pourquoi Ernest Reyer
Me semble un peu trop difficile.
Implorant les cieux parfois sourds
Où passent des guerriers équestres,
J’en conviens, je n’ai pas toujours
Sous ma main de puissants orchestres.
Or, pour oublier les méchants
Si, pâle et l’oeil de pleurs humide,
J’ai besoin d’entendre les chants
Célestes d’Orphée ou d’Armide, –
O Vérité, sors de ton puits!
Lorsque ce désir fou m’étrangle,
Dis-nous cependant si je puis
Me les jouer sur le triangle!
4 août 1888.