Le Printemps

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Sinistre Hiver avec tes farouches colères

Pars, va-t’en loin de nous parmi tes ours polaires!

Délivre-nous, vieillard, des fallacieux gants

De peau de chien ouatés et des noirs ouragans,

Et dans le blanc pays des glaces éternelles

Emmène les Pierrots et les Polichinelles.

Oui, voici l’heure. Il naît, le glorieux Printemps.

Il baise les cheveux dans la brise flottants

Et déroule, en soufflant dessus, les feuilles vertes.

Oiseaux, qui nous charmez de vos ailes ouvertes,

C’est un fait, il convient que vous l’ébruitiez:

Il va neiger bientôt sur les arbres fruitiers.

Nous les verrons, joyeux et quittant l’air morose,

Tachés d’un blanc céleste et vaguement, de rose;

Un frisson va courir sur les ruisseaux d’argent,

Doux comme le soupir d’une âme, et voltigeant

Dans l’air tiède, où Zéphir épris chante sa gamme,

Le Papillon va dire à la rose: Madame!

Dans les calèches au vol fier qu’emporteront

De fins chevaux ayant des rubans sur le front,

Nous pourrons admirer, sous les cieux tutélaires,

Nos Dames de Paris dans leurs toilettes claires.

Des amazones, groupe adorable et riant,

Jetteront sur la foule un coup d’oeil, en fuyant,

A certains cavaliers d’autres feront des signes

Et sur le flot du lac silencieux, les cygnes

De neige, en regardant folâtrer leurs poneys,

Folâtreront avec les canards japonais.

Il se pourra qu’on jase à la façon des merles.

Et comme s’il pleuvait des rubis et des perles,

On entendra partout des madrigaux fleuris.

Guy, très correct, louera la duchesse à Paris,

Tandis qu’aux champs, parlant d’une façon plus nette,

Lucas, plein de malice, embrassera Toinette.

Et sur l’étang glacé parmi les joncs dormant

Où la lune se mire et semble un diamant,

A de vagues chansons les amoureuses fées

Mêleront dans la nuit leurs plaintes étouffées.

O parfums envolés partout dans l’air subtil!

Azur des cieux légers et clairs! Printemps d’Avril!

Dans mon vieux Luxembourg, que j’adore et qui m’aime,

Les bleus myosotis foisonneront, et même

Sous l’Odéon, parmi tant de romans pervers

Fleuriront follement les volumes de vers.
Mardi, 2 avril 1889.

Théodore de Banville

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