Le Sanglier

C’était auprès d’un lac sinistre, à l’eau dormante,

Enfermé dans un pli du grand mont Érymanthe,

Et l’antre paraissait gémir, et, tout béant,

S’ouvrait, comme une gueule affreuse du néant.

Des vapeurs en sortaient, ainsi que d’un Averne.

Immobile, et penché pour voir dans la caverne,

Hercule regarda le sanglier hideux.

Les loups fuyaient de peur quand il s’approchait d’eux,

Tant le monstre effaré, s’il grognait dans sa joie,

Semblait effrayant, même à des bêtes de proie.

Il vivait là, pensif. Lorsque venait la nuit,

Terrible, emplissant l’air d’épouvante et de bruit

Et cassant les lauriers au pied des monts sublimes,

Il allait dans le bois déchirer ses victimes ;

Puis il rentrait dans l’antre, auprès des flots dormants.

Couché sur la chair morte et sur les ossements,

Il mangeait, la narine ouverte et dilatée,

Et s’étendait parmi la boue ensanglantée.

Noir, sa tanière au front obscur lui ressemblait.

Les ténèbres et lui se parlaient. Il semblait,

Enfoui dans l’horreur de cette prison sombre,

Qu’il mangeait de la nuit et qu’il mâchait de l’ombre.

Hercule, que sa vue importune lassait,

Se dit : Je vais serrer son cou dans un lacet ;

Ma main étouffera ses grognements obscènes,

Et je l’amènerai tout vivant dans Mycènes.

Et le héros disait aussi : Qui sait pourtant,

S’il voyait dans les cieux le soleil éclatant,

Ce que redeviendrait cet animal farouche ?

Peut-être que les dents cruelles de sa bouche

Baiseraient l’herbe verte et frémiraient d’amour,

S’il regardait l’azur éblouissant du jour !

Alors, entrant ses doigts d’acier parmi les soies

Du sanglier courbé sur des restes de proies,

Il le traîna tout près du lac dormant. En vain,

Blessé par le soleil qui dorait le ravin,

Le monstre déchirait le roc de ses défenses.

Il fuyait. Souriant de ces faibles offenses,

Hercule, soulevant ses flancs hideux et lourds,

Le ramenait au jour lumineux. Mais toujours,

Attiré dans sa nuit par un amour étrange,

Le sanglier têtu retournait vers la fange,

Et toujours, l’effrayant d’un sourire vermeil,

Le héros le traînait de force au grand soleil.
Décembre 1862.

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Théodore de Banville Apprenti Poète

Par Théodore de Banville

Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du bonheur ».

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