Le saut du tremplin

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
0 vues
0.0

Clown admirable, en vérité !

Je crois que la postérité,

Dont sans cesse l’horizon bouge,

Le reverra, sa plaie au flanc.

Il était barbouillé de blanc,

De jaune, de vert et de rouge.
Même jusqu’à Madagascar

Son nom était parvenu, car

C’était selon tous les principes

Qu’après les cercles de papier,

Sans jamais les estropier

Il traversait le rond des pipes.
De la pesanteur affranchi,

Sans y voir clair il eût franchi

Les escaliers de Piranèse.

La lumière qui le frappait

Faisait resplendir son toupet

Comme un brasier dans la fournaise.
Il s’élevait à des hauteurs

Telles, que les autres sauteurs

Se consumaient en luttes vaines.

Ils le trouvaient décourageant,

Et murmuraient :  » Quel vif-argent

Ce démon a-t-il dans les veines ?  »
Tout le peuple criait :  » Bravo!  »

Mais lui, par un effort nouveau,

Semblait roidir sa jambe nue,

Et, sans que l’on sût avec qui,

Cet émule de la Saqui

Parlait bas en langue inconnue.
C’était avec son cher tremplin.

Il lui disait :  » Théâtre, plein

D’inspiration fantastique,

Tremplin qui tressailles d’émoi

Quand je prends un élan, fais-moi

Bondir plus haut, planche élastique !
 » Frêle machine aux reins puissants,

Fais-moi bondir, moi qui me sens

Plus agile que les panthères,

Si haut que je ne puisse voir,

Avec leur cruel habit noir

Ces épiciers et ces notaires !
 » Par quelque prodige pompeux

Fais-moi monter, si tu le peux,

Jusqu’à ces sommets où, sans règles,

Embrouillant les cheveux vermeils

Des planètes et des soleils,

Se croisent la foudre et les aigles.
Jusqu’à ces éthers pleins de bruit,

Où, mêlant dans l’affreuse nuit

Leurs haleines exténuées,

Les autans ivres de courroux

Dorment, échevelés et fous,

Sur les seins pâles des nuées.
 » Plus haut encor, jusqu’au ciel pur !

Jusqu’à ce lapis dont l’azur

Couvre notre prison mouvante !

Jusqu’à ces rouges Orients

Où marchent des Dieux flamboyants,

Fous de colère et d’épouvante.
 » Plus loin ! plus haut ! je vois encor

Des boursiers à lunettes d’or,

Des critiques, des demoiselles

Et des réalistes en feu.

Plus haut ! plus loin ! de l’air ! du bleu !

Des ailes ! des ailes ! des ailes !  »
Enfin, de son vil échafaud,

Le clown sauta si haut, si haut

Qu’il creva le plafond de toiles

Au son du cor et du tambour,

Et, le coeur dévoré d’amour,

Alla rouler dans les étoiles.
Février 1857.

Théodore de Banville

Qu’en pensez-vous ?

Partagez votre ressenti pour Théodore de Banville

Noter cette création
1 Étoile2 Étoiles3 Étoiles4 Étoiles5 Étoiles Aucune note
Commenter

La poésie se nourrit de vos réflexions. Laissez un peu de vous sur nos pages.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Découvrez d'autres poèmes de Théodore de Banville

Aucun poème populaire trouvé ces 7 derniers jours.

Nouveau sur LaPoesie.org ?

Première fois sur LaPoesie.org ?


Rejoignez le plus grand groupe d’écriture de poésie en ligne, améliorez votre art, créez une base de fans et découvrez la meilleure poésie de notre génération.