Le Stigmate

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Et in fronte ejus nomen scriptum : Mysterium…

Apocalypsis, caput XVII.

Une nuit qu’il pleuvait, un poète profane

M’entraîna follement chez une courtisane

Aux épaules de lys, dont les jeunes rimeurs

Couronnaient à l’envi leur corbeille aux primeurs.

Donc, je me promettais une femme superbe

Souriant au soleil comme les blés en herbe,

Avec mille désirs allumés dans ces yeux

Qui reflètent le ciel comme les bleuets bleus.

Je rêvais une joue aux roses enflammées,

Des seins très à l’étroit dans des robes lamées,

Des mules de velours à des pieds plus polis

Que les marbres anciens par Dypœne amollis,

Dans une bouche folle aux perles inconnues

La Muse d’autrefois chantant des choses nues,

Des Boucher fleurissants épanouis au mur,

Et des vases chinois pleins de pays d’azur.

Hélas ! qui se connaît aux affaires humaines ?

On se trompe aux Agnès tout comme aux Célimènes :

Toute prédiction est un rêve qui ment !

Ainsi jugez un peu de mon étonnement

Lorsque la Nérissa de la femme aux épaules

Vint, avec un air chaste et des cheveux en saules,

Annoncer nos deux noms, et que je vis enfin

L’endroit mystérieux dont j’avais eu si faim.

C’était un oratoire à peine éclairé, grave

Et mystique, rempli d’une fraîcheur suave,

Et l’œil dans ce réduit calme et silencieux

Par la fenêtre ouverte apercevait les cieux.

Le mur était tendu de cette moire brune

Où vient aux pâles nuits jouer le clair de lune,

Et pour tout ornement on y voyait en l’air

La Melancholia du maître Albert Dürer,

Cet Ange dont le front, sous ses cheveux en ondes,

Porte dans le regard tant de douleurs profondes.

Sur un meuble gothique aux flancs noirs et sculptés

Parlant des voix du ciel et non des voluptés,

Souriait tristement une Bible entr’ouverte

Sur une tranche d’or ouvrant sa robe verte.

Pour la femme, elle était assise, en peignoir brun,

Sur un pauvre escabeau. Ses cheveux sans parfum

Retombaient en pleurant sur sa robe sévère.

Son regard était pur comme une primevère

Humide de rosée. Un long chapelet gris

Roulait sinistrement dans ses doigts amaigris,

Et son front inspiré, dans une clarté sombre

Pâlissait tristement, plein de lumière et d’ombre !

Mais bientôt je vis luire, en m’approchant plus près

Dans ce divin tableau, sombre comme un cyprès,

Dont mon premier regard n’avait fait qu’une ébauche,

Aux lèvres de l’enfant le doigt de la débauche,

Sur les feuillets du livre une tache de vin.

Et je me dis alors dans mon cœur : C’est en vain

Que par les flots de miel on déguise l’absinthe,

Et l’orgie aux pieds nus par une chose sainte.

Car Dieu, qui ne veut pas de tare à son trésor

Et qui pèse à la fois dans sa balance d’or

Le prince et la fourmi, le brin d’herbe et le trône,

Met la tache éternelle au front de Babylone !
Février 1841.

Théodore de Banville

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