Les Demoiselles des chars

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Paris qui vit et s’extasie,

Toujours jeune au milieu du monde avarié,

Pour la peinture et pour la poésie

Quel thème est plus divin, plus beau, plus varié?

Oh! Paris! Paris en délire,

Avec sa joie, avec son rire,

Avec ses amoureux sanglots

Et sa folle rumeur qui monte aux cieux féeriques,

Pareille au tumulte des flots,

Chante dans l’ouragan de mes rimes lyriques.
Comme le grand aïeul Pindare,

Dont les vers s’envolaient, parmi la nue épars,

Je veux unir le chant à la cithare

Pour vous mieux célébrer, conductrices des chars.

C’est dans l’Hippodrome excentrique

Baigné de lumière électrique

Et sous les yeux du grand Paris,

Amoureux, comme on sait, des Victoires ailées,

Que l’orgueil de gagner le prix

Vous fait combattre, ainsi que des Penthésilées.
Au bruit furieux des orchestres,

L’effort gonfle vos bras instruits aux durs travaux.

Tout vous enivre, en ces luttes équestres,

Et votre voix farouche anime les chevaux.

Vous les excitez, ô guerrières,

Par des cris et par des prières,

Nous voyons frémir dans l’air bleu

Leurs naseaux que le vent sèche de ses brûlures,

Et le souffle effrayant d’un dieu

Tord, comme un ouragan sacré, leurs chevelures.
Toutes les têtes resplendissent,

Et les jeunes héros des cercles élégants

De si bon coeur sur vos pas applaudissent

Que ces galants sportsmen en font craquer leurs gants.

Je veux imiter leur délire

Dans mes hymnes, rois de la lyre.

Je saurai vous louer encor;

Toi surtout, Claudia superbe, dont le torse

Cambré sous les écailles d’or,

Nous apparaît, brillant de jeunesse et de force.
Telle Athènè dans sa cuirasse

Jaillit comme un éclair au haut du ciel serein,

Lorsqu’Héphaïstos, père de notre race,

Fendit le front de Zeus de sa hache d’airain.

L’or enflammait de sa caresse

Le sein de la jeune déesse.

Ainsi, buveuse de nectar,

Ayant le fier courroux des combats dans ton âme,

Tu passes, debout sur ton char,

Dans ce corset brillant comme une mer de flamme.
Cependant, c’est à Batignolles

Que tu naquis, fillette aux rires ingénus.

Là, tout enfant, tu reçus des torgnoles

Près du ruisseau de fange où tu marchais, pieds nus.

A présent des seigneurs moroses

T’offrent toutes sortes de choses

Et, t’adjurant d’un air vainqueur,

Entassent devant toi pistoles sur pistoles.

Mais, Parisienne au grand coeur,

Tu ne veux pas souiller tes lys dans leurs Pactoles.
Avec tes instincts coloristes,

Amante de la pourpre aux flamboyants orgueils,

Tu périrais d’ennui chez ces gens tristes

Serrés dans leur frac noir inventé pour les deuils.

Mais ton vrai compagnon, ton homme,

Celui que tu sais aimer comme

Leïla chérissait Mejnoun;

Celui que ton regard caresse et que tu flattes,

N’est pas un gommeux: c’est un clown

Au visage semé de taches écarlates.
Oh! ne plus ramper sur la terre!

Avoir l’ardeur, avoir la flamme, avoir l’amour!

Se délivrer de la fange, ô mystère!

Se baigner dans la rouge aurore et dans le jour!

Pareille aux lutteurs de Sicile,

Toi, guidant leur fougue indocile,

Comme en un tourbillon de feu

Tu lances tes chevaux, selon l’antique règle;

Et lui, ton clown au toupet bleu

Vole, et plane dans l’air effaré, comme un aigle.
Vous fuyez! sur la terre noire

Vos pieds impatients ne se posent jamais,

Vos pieds hardis, et plus blancs que l’ivoire.

Sans doute un jour, ayant l’appétit des sommets,

Couple d’amants, épris du faîte,

Dans l’orage et dans la tempête

Devançant le vol du milan,

Bien plus loin que l’Islande et que le pays kurde,

Par un prodigieux élan

Vous vous évaderez loin de ce monde absurde.
Vous vous enfuirez, pleins de joie,

Vers l’éther lumineux des pâles firmaments,

Dont le tapis d’azur, qui se déploie,

Ruisselle, éclaboussé par les blancs diamants.

Là, parmi les sombres mêlées

Des comètes échevelées,

De sa tête et de son genou

Ton clown séditieux, déchirant tous les voiles,

Bondira, comme un astre fou,

Et toi, tu mèneras des chariots d’étoiles.

Théodore de Banville

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