Les Femmes
Au lieu de nous mettre à genoux,
Prenons des airs quelque peu rogues
Et montrons du savoir; car nous
Sommes devenus psychologues.
Nous savons, pour l’avoir appris,
Combien un coeur pèse de grammes,
Et de l’exactitude épris,
Nous connaissons très bien les femmes.
Charmeresses dont les baudets
Adorent la grâce éternelle,
Pour les ravir, elles ont des
Bosses, comme Polichinelle.
Deux bosses, d’où vient leur pouvoir!
Mais par une saine doctrine,
Elles préfèrent les avoir
Toutes les deux, sur la poitrine.
Elles ont un oeil décevant,
Les reines comme les ânières,
Et peuvent secouer au vent,
Comme les lions, des crinières.
Elles ont de très jolis nez
Impertinents, gais ou farouches,
Beaucoup de lys d’azur veinés,
Et des roses, qui sont leurs bouches.
Leur fine oreille, en beaux accords,
Charme par la grâce des lobes
Et sans nul effort, sur leur corps
On voit pousser de belles robes.
Pour que le gai printemps du ciel
Sur leur doux visage fleurisse,
Elles sont exemptes de fiel
Et fidèles à leur caprice.
Puis, ces reines au flanc divin,
Que de loin adore le pâtre,
Jettent des perles dans le vin,
Ainsi que leur soeur Cléopâtre.
Elles ont aussi beaucoup d’or
Sur leur dos svelte de cétoine
Et, tout comme elle, vont encor
Au Théâtre-Libre d’Antoine.
Au moral, quand s’enfuit le jour,
Las de rayonner sur nos vices,
Elles aiment d’un chaste amour
Le champagne et les écrevisses.
Nous craignons leurs courroux mignons,
Comme les vagues furieuses,
Et leurs voluptueux chignons
Sont des forêts mystérieuses.
Derrière elles, des sacripants
Marchent en bande familière,
Brillants et pareils à des paons
Échappés de quelque volière,
Ce sont les amants, damoiseaux
Corrects; mais dans leurs friperies
Ils n’ont pas, comme ces oiseaux,
Une traîne de pierreries.
Non, ces amoureux sans festons,
Qui fredonnent leurs pauvres gammes,
A leurs incohérents vestons
N’ont pas de saphirs; mais les femmes
Les complètent facilement,
Sirènes aux prunelles bleues,
Et par un ensorcellement,
C’est elles qui leur font des queues.
21 janvier 1890.