Les Torts du Cygne

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Comme le Cygne allait nageant

Sur le lac au miroir d’argent,

Plein de fraîcheur et de silence,

Les Corbeaux noirs, d’un ton guerrier,

Se mirent à l’injurier

En volant avec turbulence.
Va te cacher, vilain oiseau !

S’écriaient-ils. Ce damoiseau

Est vêtu de lys et d’ivoire !

Il a de la neige à son flanc !

Il se montre couvert de blanc

Comme un paillasse de la foire!
Il va sur les eaux de saphir,

Laid comme une perle d’Ophir,

Blanc comme le marbre des tombes

Et comme l’aubépine en fleur !

Le fat arbore la couleur

Des boulangers et des colombes !
Pour briller sur ce promenoir,

Que n’a-t-il adopté le noir !

Un fait des plus élémentaires,

C’est que le noir est distingué.

C’est propre, c’est joli, c’est gai ;

C’est l’uniforme des notaires.
Cuisinier, garde ton couteau

Pour ce Gille, cher à Wateau !

Accours! et moi-même que n’ai-je

Le bec aigu comme un ciseau

Pour percer le vilain oiseau

Barbouillé de lys et de neige !
Tel fut leur langage. A son tour

Dans les cieux parut un Vautour

Qui s’en vint déchirer le Cygne

Ivre de joie et de soleil ;

Et sur l’onde son sang vermeil

Coula comme une pourpre insigne.
Alors, plus brillant que l’Oeta

Ceint de neige, l’oiseau chanta,

L’oiseau que sa blancheur décore ;

Il chanta la splendeur du jour,

Et tous les antres d’alentour

S’emplirent de sa voix sonore.
Et l’Alouette dans son vol,

Et la Rose et le Rossignol

Pleuraient le Cygne. Mais les Anes

S’écrièrent avec lenteur :

Que nous veut ce mauvais chanteur ?

Nous avons des airs bien plus crânes.
Il chantait toujours. Et les bois

Frissonnants écoutaient la voix

Pleine d’hymnes et de louanges.

Alors, d’autres êtres ailés

Traversèrent les cieux voilés

D’azur. Ceux-là, c’étaient des Anges.
Ces beaux voyageurs, sans pleurer,

Regardaient le Cygne expirer

Parmi sa pourpre funéraire,

Et, vers l’oiseau du flot obscur

Tournant leur prunelle d’azur,

Ils lui disaient : Bonsoir, mon frère.
Décembre 1861

Théodore de Banville

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