Louanges d’Aurélie

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Toi qui rêvas parmi les lys,

Avec le sylphe et les willis

Pour coryphées,

Et la rosée en diamants,

Un théâtre pour les amants

Et pour les fées !
Je sais, poëte du roi Lear,

Une femme qui fait pâlir

Toutes les flammes

Dont ta noble main couronna

Juliette et Desdémona,

Ces blanches âmes !
Elle avait au front moins de fleurs,

Celle que, d’amour et de pleurs

Tout arrosée,

La lune rêveuse, en songeant,

Couronnait de rayons d’argent

Et de rosée.
Elle avait moins de doux regards,

Celle qui, les cheveux épars

Sur son épaule,

Blanche comme un camellia,

A sa servante Émilia

Chantait le Saule !
Il est moins agréable au ciel,

Cet ange qu’un chant immortel

Toujours caresse,

Cet inestimable joyau

Sur lequel pleure Olympio

Dans sa tristesse !
Et toi, mon maître, ô fier Ronsard,

Enthousiaste du doux art,

Amant d’Hélène,

Qui jadis nous émerveillais

Sur les roses et les œillets

De son haleine !
Celle que je chante en ces vers

T’eût donné, sous tes lauriers verts,

Plus de délire

Qu’il n’en fallut pour mettre au jour

Les cent filles de ton amour

Et de ta lyre.
Car cette maîtresse aux beaux yeux

Dans un poëme harmonieux

N’est pas éclose,

Ni dans ton marbre, ô Phidias,

Ni dans les grands yeux de Diaz

Ivres de rose !
C’est une femme aux yeux plus doux,

Vivante et qui peut, comme nous,

Dire : Je t’aime,

Mais qui sur son front sidéral

Porte le rhythme et l’idéal

Comme un poëme.
Ce n’est pas un rêve charmant

Qu’il faudra pleurer en fermant

Quelque cher livre,

Et cet ange aux ongles d’onyx,

Plus beau que Laure et Béatrix,

On le sent vivre !
On entend, parmi le satin,

Battre son cœur sous son beau sein

Dans sa poitrine,

Les rossignols, pleins de doux chants,

Peuvent écouter dans les champs

Sa voix divine,
Et quand elle s’arrête au bois

Pour écouter sourdre les voix

De la nature,

A travers les arbres du parc,

Les Naïades admirent l’arc

De sa ceinture !
Le soir, à cette heure de feu

Où se pâme sous le ciel bleu

La tubéreuse,

La Nuit humide de parfums

Se mire dans ses grands yeux bruns,

Tout amoureuse ;
Et les extases du soleil

Emplissent les airs d’or vermeil

Et d’harmonies,

Quand les beaux châles d’Orient

Murmurent sur son cou riant

Leurs symphonies !
Car c’est pour orner ses beaux reins

Que le pays des Dieux sereins

Aux mains fleuries

Semble dans un tissu changeant

Tramer avec l’or et l’argent

Les pierreries !
O beau songe ! sonnet vivant !

Calice entr’ouvert que le vent

Jamais ne fane !

Sa main blanche comme le lait

Passe à travers le bracelet

D’une sultane !
Je vois sous les pâles duvets

Ses veines couleur des bleuets

Et des pervenches,

Ses ongles dignes de Scyllis,

Ses bras aussi blancs que les lys,

Ses mains plus blanches !
Et mon âme pleine et sans fond,

D’où parfois à mon œil profond

Monte une larme,

Partout attirée à la fois,

Demeure tremblante et sans voix

Sous tout ce charme !
Tels nous sentons, irrésolus,

De vivants désirs, qui n’ont plus

Rien de physique,

Couler en nous comme des flots

Avec le rhythme et les sanglots

De la musique.

Mai 1846.

Théodore de Banville

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