Lutte

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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La Muse est divine, et sans cesse

Charme le jour.

Elle restera ma déesse

Et mon amour.
Jamais celle que j’ai suivie

Ne m’a lésé.

Mais, certes, lutter pour la vie

Est malaisé.
Ah! sous le rouge crépuscule

Du ciel en feu,

Le meilleur lutteur fut Hercule,

Esclave et dieu.
Car agile en ses peccadilles

Comme les faons,

Il faisait à cinquante filles

Cinquante enfants.
Prolixité digne d’envie!

Puissant gala,

De pouvoir prodiguer la vie

A ce point-là!
Mais songer à soi-même, vivre,

Est déjà fort,

Si bien que parfois on est ivre

De cet effort.
Au Paris de la rive gauche,

Sur les coteaux

Persiste encore la débauche

Des Flicoteaux.
Plus d’un jeune mélancolique,

Ivre de grec,

Y meurtrit sa dent famélique

Sur un bifteck.
Mais, ô lutte sourde et hagarde!

Fuyant repas!

Le bifteck, pareil à la garde,

Ne se rend pas.
Tel esquisse, en mots d’une lieue,

Des Ménélas

Héros d’une histoire sans queue

Ni tête, hélas!
Le clown, dans une triste fête

Content de peu,

Orne d’un toupet bleu sa tête.

Oh! pourquoi bleu?
Près des vieux aux lourdes paupières,

Tristes et soûls,

Vois, les pierreuses, dans les pierres,

Vont, pour deux sous.
Et c’est la même coqueluche

Dans le ruisseau

Que sur les coussins de peluche

Couleur ponceau.
Torgnole, fuyant comme un lièvre

Et lasse enfin,

Vend le froid baiser de la fièvre

Et de la faim.
Et de même, Anna que mignote

Son vieux lion,

Avec ses quenottes grignote

Un million.
Pour toute l’humanité blême

– Oh! que rêver? –

C’est toujours l’unique problème:

Ne pas crever.
L’Homme obéit, l’Or est le maître

De ce valet,

Et c’est bien l’Etre ou ne pas être

Du prince Hamlet.
Et toi qui n’as pas de colère,

O doux rimeur,

Puisque tu n’obtiens pour salaire

Qu’une rumeur;
Puisque la salle où se goberge

Trimalcion,

Te dédaigne, comme l’auberge,

Trime, alcyon!
24 décembre 1889.

Théodore de Banville

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