Mardi gras
Aussi fou qu’un essaim de guêpes,
Car il ne faut pas qu’on s’y trompe,
Mardi-gras, qui mange des crêpes,
Est venu, sonnant de la trompe.
Donc, mon ami Paul, et toi, Lise,
Amusez-vous. Ce qu’on achève
Et qu’à propos on réalise,
N’est plus dans le pays du rêve.
Mais n’allez pas au bal. C’est triste.
C’en est fini du Veau qui tette,
Et lointain comme un guitariste,
Chicard n’est plus qu’une épithète.
Donc, Lise, dont le fier corsage
Cache mal un sein couleur d’ambre,
Et toi, Paul, croyez un vieux sage:
Faites le bal dans votre chambre.
Amants fiers de porter des chaînes,
Dansez un pas naturaliste!
Voyagez aux rives prochaines,
Comme le veut mon fabuliste.
Je le sais bien, moi que la Muse
A dressé pour son dithyrambe,
En nul endroit on ne s’amuse
Mieux que devant un feu qui flambe.
Pour le carnaval, trop précaire,
Il faut pourtant qu’on se déguise;
Si l’on veut, en Robert Macaire,
Et s’il le faut, en duc de Guise.
Toi, Paul, mets ta chemise russe,
Et toi, Lise aux charmantes poses,
Déguise-toi, pleine d’astuce,
En femme qui met des bas roses.
Et soupez! Lise, fleur humaine,
Si l’on peut t’adorer comme ange,
Pour imiter le fils d’Alcmène
Il est essentiel qu’on mange.
Si tu veux que Paul sur tes lèvres
Se livre aux plus tendres sévices,
Sur une assiette de vieux Sèvres
Épluche-lui des écrevisses.
Et pour mêler toutes les joies,
Commande, ô guerrière jalouse,
La fine terrine de foies
Gras, chez Tivollier de Toulouse.
L’Éden, il faudrait que tu l’eusses,
O femme du ciel émanée!
Pour cela, bois du Lur Saluces
Après un peu de Romanée.
O Paul, sois prévoyant! Profite
Du temps où tu n’es pas obèse,
Et tandis que Lise t’invite,
Baise sa bouche, et la rebaise.
Car ce bonheur, que tu répètes,
Vaut bien les douleurs éternelles
D’entendre hurler des trompettes
Et de voir des polichinelles!
5 mars 1889.