Massacre

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Elle n’a pas treize ans; fillette à peine éclose,

Sa bouche en fleur a l’air d’une petite rose.

Avec un doux ruban d’azur autour du cou,

Elle va devant elle et sans savoir jusqu’où.

Affamée elle mange et dévore des pommes

Avec ses dents de nacre, et regarde les hommes

D’un air effronté, mais cependant ingénu.

Elle se réjouit de montrer son bras nu

En lorgnant au bazar quelque bijou de cuivre.

Si parfois un passant fait mine de la suivre

Et semble affriandé par ses minces appas,

Vite elle fait la dame et ralentit son pas.

On voit je ne sais quel mystérieux délire

Et quel affolement dans son vague sourire;

Et pourtant, malgré son manège triomphant,

Elle a bien l’ignorance auguste de l’enfant

Dans ses yeux pleins de grâce et de mélancolie.

Oh! quel deuil, la naïve innocence avilie!

Chantonnant son refrain comme un oiseau bavard,

Elle va sans repos le long du boulevart,

Traînant son corps fragile et son âme tuée,

Pauvre petite, hélas! déjà prostituée.
Mercredi, 12 janvier 1887.

Théodore de Banville

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