Moderne
Le Saint dit à son compagnon:
Vil animal souillé de crotte,
Puisque tu prends cet air grognon,
Va te cacher là, dans la grotte.
Laisse-moi dans l’air nébuleux
Regarder l’Ange qui s’élance
Pour franchir les escaliers bleus,
Et d’abord, garde le silence.
Mais le rôdeur aux flancs épais
Dit: Je suis fatigué du mythe.
En somme, accorde-moi la paix!
Ne m’agace pas, bon ermite.
C’est bon. Laisse tes vieux cheveux
Se coller sur ta face blême,
Et je parlerai, si je veux.
Garde le silence, toi-même.
Les instants envolés sont courts.
Bonhomme, il ne faudrait pas m’être
Désagréable en tes discours,
Et maintenant, c’est moi le maître.
Tu nasilles, comme au lutrin.
Mais sache-le, vieux botaniste,
C’est moi seul qui suis dans le train.
Je suis le Cochon moderniste.
Je suis comme un roi d’Orient.
Le soleil me baise et me dore,
Et tout le monde, en me voyant,
Me dit: Cochon, viens qu’on t’adore!
Dût cette existence m’user,
Parmi des femmes idolâtres
Désormais je veux m’amuser
Dans les endroits les plus folâtres.
Hôte d’éblouissants palais,
Je fréquenterai les Folies-
Bergère, pour courtiser les
Demoiselles aux moeurs polies.
Je couronnerai mes destins.
Puisqu’ici-bas tout n’est que rêve,
J’organiserai des festins
Si plantureux que l’on en crève.
Je veux des menus abondants
Que nul ascète ne rature.
Et puisque enfin je règne dans
La meilleure littérature,
J’irai, sans demander jusqu’où.
Tandis que siffleront les merles,
On attachera sur mon cou
Des fleurs et des colliers de perles,
Ermite, dans les cieux divins
Tu peux regarder fuir les Anges.
Moi je me soûlerai de vins,
De belles chairs et de louanges.
Après avoir bien déliré
Dans une éternelle glissade,
Avec délices je lirai
Mon ravissant marquis de Sade.
Je mènerai des choeurs dansants,
Et, tout le temps que le jour dure,
Caressé, fier, ivre d’encens,
J’irai me vautrer dans l’ordure.
2 avril 1889.