Moderne

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Le Saint dit à son compagnon:

Vil animal souillé de crotte,

Puisque tu prends cet air grognon,

Va te cacher là, dans la grotte.
Laisse-moi dans l’air nébuleux

Regarder l’Ange qui s’élance

Pour franchir les escaliers bleus,

Et d’abord, garde le silence.
Mais le rôdeur aux flancs épais

Dit: Je suis fatigué du mythe.

En somme, accorde-moi la paix!

Ne m’agace pas, bon ermite.
C’est bon. Laisse tes vieux cheveux

Se coller sur ta face blême,

Et je parlerai, si je veux.

Garde le silence, toi-même.
Les instants envolés sont courts.

Bonhomme, il ne faudrait pas m’être

Désagréable en tes discours,

Et maintenant, c’est moi le maître.
Tu nasilles, comme au lutrin.

Mais sache-le, vieux botaniste,

C’est moi seul qui suis dans le train.

Je suis le Cochon moderniste.
Je suis comme un roi d’Orient.

Le soleil me baise et me dore,

Et tout le monde, en me voyant,

Me dit: Cochon, viens qu’on t’adore!
Dût cette existence m’user,

Parmi des femmes idolâtres

Désormais je veux m’amuser

Dans les endroits les plus folâtres.
Hôte d’éblouissants palais,

Je fréquenterai les Folies-

Bergère, pour courtiser les

Demoiselles aux moeurs polies.
Je couronnerai mes destins.

Puisqu’ici-bas tout n’est que rêve,

J’organiserai des festins

Si plantureux que l’on en crève.
Je veux des menus abondants

Que nul ascète ne rature.

Et puisque enfin je règne dans

La meilleure littérature,
J’irai, sans demander jusqu’où.

Tandis que siffleront les merles,

On attachera sur mon cou

Des fleurs et des colliers de perles,
Ermite, dans les cieux divins

Tu peux regarder fuir les Anges.

Moi je me soûlerai de vins,

De belles chairs et de louanges.
Après avoir bien déliré

Dans une éternelle glissade,

Avec délices je lirai

Mon ravissant marquis de Sade.
Je mènerai des choeurs dansants,

Et, tout le temps que le jour dure,

Caressé, fier, ivre d’encens,

J’irai me vautrer dans l’ordure.
2 avril 1889.

Théodore de Banville

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