Nocturne
Attiré par l’odeur affreuse du charnier,
Parfois le dieu Désir s’habille en chiffonnier.
Il n’a plus, beau chasseur bondissant d’un pied libre,
Ce grand arc dont la corde avec nos âmes vibre,
Ni ces traits dont l’airain, comme un oiseau vainqueur,
Épouvante la nue et nous blesse en plein coeur.
Il est las d’avoir vu les Déesses sans voiles
Et d’avoir caressé les blancheurs des Étoiles,
Et d’avoir longtemps bu, près des Amaryllis,
Les larmes de la Nuit dans la coupe des lys,
Et de s’être endormi, dans les apothéoses,
Sur des lèvres en fleur pareilles à des roses.
Désir, ce dieu superbe au fulgurant essor,
Dont les ailes fuyaient dans la lumière d’or
Et devant qui Psyché balbutiait, ravie,
Sur le comptoir de zinc a bu de l’eau-de-vie.
Lui qui faisait pleurer de tendresse les loups,
Il trébuche dans l’ombre avec des hoquets fous.
Son pied, déjà tremblant, dans le ruisseau barbote;
Il est ivre; il a mis sur son dos une hotte,
Et sous ses haillons vils, comme un vieux chargé d’ans,
Il marche tout courbé, le brûle-gueule aux dents.
En traîneur de savate, il va, sous le ciel terne,
Tenant en main son noir crochet et sa lanterne.
Il a caché tout l’or de son front crespelé
Sous la casquette molle, et comme un chien pelé
Qui remâche des os et des carcasses dures,
Il cherche son régal parmi les tas d’ordures.
Jeudi, 9 octobre 1884.