Pégase
Le poëte qui dans l’extase,
O Muse, fait ce que tu veux,
Est monté sur le blanc Pégase,
En l’empoignant par les cheveux.
Au-dessus d’eux le ciel flamboie,
Et le cheval fier et subtil
Dit au poëte plein de joie:
Où dois-je aller? Que te faut-il?
Veux-tu le trône au dais de moire
Que l’homme regarde en rêvant,
Ou ce vain murmure, la gloire,
Qui s’éparpille dans le vent?
Veux-tu suivre en ses nobles crimes
La Guerre au souffle meurtrier,
Ou sur ton beau front plein de rimes
Avoir l’ombre du noir laurier?
Traversant la mer inféconde,
Plus rapide que le zéphyr,
Tu pourras dépouiller Golconde
Et cueillir les perles d’Ophir!
Je puis te donner une Omphale
Aux cheveux baisés par le jour,
Et la richesse triomphale,
Et ce que l’on appelle: Amour!
Et tu n’as qu’à parler, poëte,
Pour vêtir de riches habits,
Si tu veux boire un vin de fête
Dans une coupe de rubis.
En ta colère impétueuse,
Tu verras tomber sur ton flanc
Une pourpre voluptueuse,
Ayant le rouge éclat du sang.
Tu peux tenir ma chevelure
Qui frissonne en tes blanches mains.
Rien ne ralentit mon allure
Et je connais tous les chemins.
J’arrive, d’une aile guerrière,
Jusqu’aux Dieux, sur le pavé d’or.
Tout me cède, et nulle barrière
Ne peut arrêter mon essor.
Je sais voler comme les aigles
Et bondir comme les lions,
Sans briser le rhythme et ses règles.
Où te plaît-il que nous allions?
Ainsi parle, voix ingénue,
Pégase, le hardi cheval
Qui dans l’orage et dans la nue
Devance l’éclair, son rival.
Déchirant l’azur et le soufre,
Il dit encor, dans la rumeur
Des astres, et dans l’or du gouffre:
Où vais-je te mener, rimeur?
Et le poëte, en ses prunelles
Ayant le ciel oriental
Brillant de clartés éternelles,
Dit: Tu sais bien. A l’hôpital!
3 septembre 1889.