Peinture

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Elle était blanche comme un cygne

Et parfaitement nue, et puis

Sans aucune feuille de vigne,

Car elle sortait de son puits.
Moi, je pris le blanc et le rouge

Et sur son visage et son flanc,

Sans souci du zéphyr qui bouge,

Fier, je mis du rouge et du blanc.
Avec ces couleurs de théâtre,

Que sans remords nous étalons,

Je maquillai son corps folâtre

De la nuque jusqu’aux talons.
Et je disais: Le Beau respire

Chez l’auteur suave et mesquin;

Aussi doit-on, fuyant Shakspere,

Aimer éperdûment Berquin!
Épris de la gloire et du lucre,

Il serait bon qu’on les briguât

Avec une Revue en sucre

Et des romanciers en nougat!
Pas de choses éblouissantes!

Foin de la Rose au coeur vermeil!

Surtout craignez les indécentes

Éclaboussures de soleil!
On peut célébrer le Hanôvre,

Ou Londres, avec Tom et Bob;

Mais que la rime soit très pauvre!

Oh! beaucoup plus pauvre que Job!
Certes, le vrai morceau de prince

Qu’il faut louanger en un lai,

C’est une demoiselle, mince

Comme un svelte manche à balai.
Le style très sobre, sans honte

Avec la vertu correspond:

Ce sont les vrais lions de fonte

Qui rugissent au bout du pont! –
Ainsi je parlais, magnanime,

Tâchant, dans ma péroraison,

D’agenouiller la nymphe Rime

Sous le dur fouet de la Raison.
Et toujours, avec politesse,

Éteignant la pourpre du sang,

Parmi les lys de la déesse

Je mettais du rouge et du blanc.
Et comme, en cette ardente fièvre,

Sur le rouge, sans l’effacer,

Je passais la patte de lièvre,

Un critique vint à passer.
Alors, tout à coup faisant halte,

Oubliant sa rédaction,

Il admira, droit sur l’asphalte,

Mes discours et mon action.
Que vois-je? Quel est ce prodige?

Dit-il avec sévérité.

Que faites-vous là? — Moi? lui dis-je;

Mais — je farde la Vérité!
13 novembre 1888.

Théodore de Banville

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