Pessimisme
Psychologues à l’oeil subtil,
Analystes et pessimistes,
Afin d’en extraire un plomb vil,
Tourmentez l’or, ô bons chimistes!
Pour moi, je ne pratiquerai
Jamais votre culte barbare.
Au contraire, j’invoquerai
Les Grâces, comme a fait Pindare.
Et séduisant par mon brio
Les cieux rouges et pleins de roses,
J’interrogerai le trio
De ces déesses grandioses.
Vous êtes vraiment dégoûtés!
Je ne sais dans quelle Sorbonne,
Tristes songeurs, vous écoutez
Une leçon qui n’est pas bonne.
Ah! dans les rayons triomphants,
Petites âmes vagabondes,
Regardez jouer les enfants
Avec leurs chevelures blondes.
Sur cette terre, où vous errez
Comme dans une vile auberge,
Regardez, lorsque vous pleurez,
Le pur sourire d’une vierge!
Prêts à bondir sur le tremplin
Où vous pousse votre folie,
Affirmant que le vin est plein
De lie et de mélancolie,
Vous dites: N’en buvons jamais! –
Je hasarde cette hypothèse:
Le vin est délicieux, mais
Vous avez la bouche mauvaise.
Ne dévisagez pas les cieux
Avec des prunelles hautaines.
C’est toujours la Muse aux beaux yeux
Qui nous parle dans les fontaines.
Les femmes, prétend votre humour,
Ensanglantent leurs bras de nacre,
En aidant le féroce Amour
A vulgariser le massacre.
Vous affirmez que ce boucher
Leur doit ses plus belles recettes. –
On peut cependant les toucher
Autrement qu’avec des pincettes.
Parmi les fleurs que nous pillons,
Dans le bois hanté par les faunes,
De jolis vols de papillons
Font palpiter leurs ailes jaunes.
Non, monsieur, l’homme ne me plaît
Pas du tout, l’homme ni la femme,
Disait jadis le prince Hamlet,
Qui chantait fort bien cette gamme.
Le zéphyr turbulent dans l’air
Frissonne et se tourne en volute.
Laisse-moi, bon Schopenhauer,
Te régaler d’un air de flûte.
Par ce beau soir plein de fraîcheurs,
Sur le feuillage et dans les nues
Partout se glissent des blancheurs
Et de chastes figures nues.
Blanc cheval sans bride et sans mors,
Porte-moi vers les belles fêtes,
Car les Dieux ne seront pas morts
Tant qu’il restera des poëtes.
20 août 1889.