Princesse
Les blonds Amours, chez vous tapis,
Jeanne, sifflent comme des merles,
Et vous marchez sur les tapis
Avec des pantoufles de perles.
Aussi riche qu’Ali-Baba,
Vous cachez vos roses fleuries,
Comme la reine de Saba,
Sous des robes de pierreries.
Endormeuse comme un Léthé,
Vous grignotez, en vos auberges,
Des ortolans pendant l’été
Et, quand vient l’hiver, des asperges.
Et froide comme un iceberg,
Vous demandez un peu d’extase
A quelque grand johannisberg
De chrysoprase et de topaze.
Mais, ô déesse, dont les pas
Auraient fleuri toute Cythère,
Vous le savez, on ne vit pas
Seulement de pain, sur la terre.
Princesse aux désirs indomptés
Que nul obstacle ne rature,
Vous savourez les voluptés
De la saine littérature.
Des poëtes, sachant ravir,
Tressent, en leurs beaux soliloques,
Des rimes d’or, pour vous servir
De colliers et de pendeloques.
Et des romanciers, nécromants
Dévoués à l’heur de vous plaire,
Fabriquent pour vous des romans.
On en tire un seul exemplaire.
Ainsi, vous ne pleurez jamais.
A vous servir tout met du zèle;
Un zéphyr vous caresse. Mais
Avouez-le, mademoiselle,
Ces bonheurs vous semblent hideux
Auprès des maux que vous souffrîtes,
Du temps où vous mangiez pour deux
Sous de pommes de terre frites.
Car alors, ignorant le bain,
Vous aviez, fillette aux yeux pâles,
Treize ans, l’âge de Chérubin,
La bouche rose et les mains sales.
C’était en de charmants accords
Et dans la radieuse ivresse
Qu’on admirait sur votre corps
Vos petits haillons de pauvresse,
Vous aviez la saveur d’un fruit,
Et sur les places reculées
Des amants tressaillaient, au bruit
De vos savates éculées.
1er octobre 1889.