Saisons
En dépit des jours moroses
Qu’on voudrait en vain nier,
Mes amis, l’été dernier
J’ai connu de belles roses.
J’écoutais des chants d’oiselles
Et, tout le long des chemins,
Fleurissaient de blancs jasmins
Pour les jeunes demoiselles.
Sous les ramures hautaines,
A l’ombre d’un noir buisson
Murmurait une chanson
Dans l’eau pure des fontaines.
Aux jardins où l’air flamboie
Dans un clair frisson vermeil,
Tout n’était qu’amour, soleil,
Sourire, caresse et joie.
Et la ville était charmante.
Couronnés de leur vapeur,
Des bateaux couraient sans peur
Sur la rivière écumante.
Les plates-bandes fleuries
Chantaient leur gai carillon,
Piquant d’un beau vermillon
Les joyeuses Tuileries.
Et leurs beaux yeux, sans colères
S’emplissant d’ombre et d’azur,
Les dames au profil pur
Arboraient des robes claires.
Bravant périls et traverses,
Tout le long du boulevart
Paris frivole et bavard
Causait de choses diverses.
Tout à coup, l’âme transie,
Tremblant et nu comme un ver,
L’Hiver parut, un Hiver
De retraite de Russie.
Il fallut rompre en visière
Avec ce qui nous ravit,
Et sur l’asphalte on ne vit
Que des chaussons de lisière.
Dans sa calotte, minée
Par des frimas, le ciel bleu
Eut des fentes, et le feu
Gela dans la cheminée.
D’une glace adamantine
Le zéphyr se régala,
Et ce fut un beau gala
Dans le monde où l’on patine.
Que tout se remette en place!
Et quoique ce soit moins sûr,
Amis, glissons plutôt sur
Le gazon que sur la glace!
Oui, la froidure jalouse
Montra pour nous trop d’amour:
Trouvez autre chose pour
Mil huit cent quatre-vingt-douze!
Dans ton habit de féerie
Viens vite, clair et subtil,
Génie enchanté d’Avril!
Baise la terre fleurie.
Et sur toutes les Hélènes,
O Printemps accoutumé,
Répands, d’un souffle embaumé,
Tes parfums et tes haleines!
3 février 1891.