Semper adora

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
0 vues
0.0

O Maître de la Lyre, aïeul, race d’Homère!

Hugo, quand tu vivais cette vie éphémère,

Devant le vaste flot que seul tu remuais,

Tes envieux restaient stupéfaits et muets.

Ils ne moissonnaient pas leur haine déjà mûre,

Et pâles, dans leurs seins, étouffaient leur murmure.

Maître, quand près de toi, dans un repas divin,

Nous te parlions, mangeant ton pain, buvant ton vin,

Quand nous goûtions, hélas! vieille troupe écolière,

Tes entretiens charmants de bonté familière,

Dans notre souvenir devenus solennels;

Quand tu nous regardais de tes yeux éternels,

Te garder, c’est le rêve enivrant que nous fîmes!

Eux pourtant, devant toi vaincus, domptés, infimes,

Pleins d’une rage sourde et remâchant leur fiel,

Petits, ils t’admiraient comme un archer du ciel

Lançant tes flèches d’or sur les marais immondes,

Ou portant dans ta main, comme Dieu fait des mondes,

L’idéal grandiose et la réalité,

Génie entré vivant dans l’immortalité.

Mage qui dans les cieux mystérieux sus lire,

Faisant parler, chanter, frémir toute la Lyre,

Évoquant dans ta voix les crimes, les bourreaux,

Les baisers, tout un peuple effrayant de héros,

Tu nous rendais, parmi nos pleurs et nos désastres,

En un tas d’odes, plus nombreuses que les astres,

Les Pindares et les Eschyles disparus,

Et ne pouvant plus rien ici-bas, tu mourus.

Les Zoïles bouffons, dont le front vil rougeoie,

En hurlèrent alors de colère et de joie;

Ils crièrent, montrant leurs appétits flagrants:

A présent qu’il n’est plus, nous pouvons être grands.

Puisqu’il prenait nos parts d’orgueil et de lumière,

Brillons! notre place est à présent la première.

Nous serions comme lui bientôt, si nous voulions.

Frères, être un berger d’aigles et de lions,

Un Hugo, ce n’est pas du tout la mer à boire:

C’est un peu de génie avec un peu de gloire,

Et le vent de l’exil parmi des cheveux blancs.

C’est ainsi que ces nains heureux, jadis tremblants,

Exultaient. Ils disaient: Tout doit finir, en somme.

Voici longtemps déjà qu’on admire cet homme.

Assez. Ne suivez plus la trace de ses pas.

Allons ailleurs. — Pardon, messieurs, je n’en suis pas.

Maître, je suis un flot parmi les flots sans nombre;

Mais, depuis le matin, j’ai marché dans ton ombre.

J’ai parfois réfléchi ta lumière, et si peu

Que je sois, j’ai pu voir en toi l’infini bleu.

Tant que je vivrai sous les grands cieux qui se dorent,

O Père, je serai parmi ceux qui t’adorent,

Fidèles, et s’il n’en reste qu’un, je serai

Celui-là, plein d’amour et le coeur ulcéré!

Mardi, 26 juillet 1887.

Théodore de Banville

Qu’en pensez-vous ?

Partagez votre ressenti pour Théodore de Banville

Noter cette création
1 Étoile2 Étoiles3 Étoiles4 Étoiles5 Étoiles Aucune note
Commenter

Rejoignez notre monde de mots, où chaque commentaire est un baiser de Ronsard à l'âme.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Découvrez d'autres poèmes de Théodore de Banville

Aucun poème populaire trouvé ces 7 derniers jours.

Nouveau sur LaPoesie.org ?

Première fois sur LaPoesie.org ?


Rejoignez le plus grand groupe d’écriture de poésie en ligne, améliorez votre art, créez une base de fans et découvrez la meilleure poésie de notre génération.