Soeur Séraphine

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Dans ce vieux couvent plein de silence et d’espace

Où le temps, comme un flot très pur, s’écoule et passe,

Et doucement ruisselle entre des bords connus;

Dans ce couvent, où les souvenirs ingénus

Se figent lentement, comme des stalactites,

Soeur Séraphine fait la classe des petites.

Or elle enseigne ces enfants si doucement,

Une telle indulgence orne son front charmant,

Que toutes avec joie écoutent sa parole,

Et sa bouche, entr’ouverte ainsi qu’une corolle,

Ne montrant pas d’orgueil ni de sévérité,

Comme un limpide flot répand la vérité.

Elle est naïve, heureuse, innocente, ignorante;

L’éclat du lys fleurit dans sa chair transparente,

Et comme elle est pareille aux anges, dans ses yeux

Flotte avec sa lumière un ciel mystérieux.

En sa blancheur, elle est une enfant elle-même.

Humble et sage parmi les petites qu’elle aime

Et qu’elle est tous les jours plus heureuse de voir,

Comme elle est toute grâce, elle a tout le savoir.

Car celui qui l’inspire en son ombre éphémère

Et fait de cette vierge une si douce mère,

C’est l’Enfant souriant, sauveur du genre humain,

Qui tient le globe bleu dans sa petite main.

Oui, bien souvent on cherche en vain soeur Séraphine

Et son regard plein de bonté, sa lèvre fine,

Où la foi met sa force amie et sa douceur.

On ne la trouve pas, mais toujours quelque soeur

Dit, tandis que partout vainement on l’appelle:

Bien sûr, ma soeur, elle est encor dans la chapelle,

Agenouillée aux pieds de son petit Jésus.

Oh! que sait-il, celui qui ne vous a pas eus

Dans son âme, entr’ouvrant leurs célestes calices,

Extase, espoir, ferveur, silencieux délices

Que fait épanouir le souffle essentiel,

Tendres fleurs, qui serez visibles dans le ciel?

Soeur Séraphine est en effet agenouillée,

Humble, ployée en deux comme une herbe mouillée,

Devant le glorieux, le roi, le triomphant.

C’est ainsi qu’elle l’aime, enfant, petit enfant;

Elle le voit toujours enfant, ainsi qu’elle ose

L’adorer. Tout petit, frêle comme une rose,

Il est déjà bonté, clarté, lumière, espoir;

Il ressemble au parfum qui s’exhale du soir.

Ce roi du ciel, orné des grâces adorables,

Aime divinement les êtres misérables

Et les console avec son regard plein d’azur.

C’est ainsi que le voit l’humble fille au coeur pur.

Elle demeure là pendant de longues heures,

L’oeil allumé par des clartés intérieures,

Et dit, toute livrée à l’éblouissement:

O mon Roi, ta parole est un vagissement;

Ta douce chevelure est une vapeur blonde;

Et cependant, c’est toi qui règnes sur le monde

Et tu souris, vainqueur, sous ta couronne d’or.

Un souffle triomphal au fulgurant essor

Passe et frémit, ô Roi, dans l’azur de tes voiles,

Et tu poses tes pieds divins sur les étoiles.

Ils sont tout pleins de toi, les vastes firmaments

Pavés d’astres de flamme et de blancs diamants;

Et devant toi, courbés comme des moissons mûres,

Les Anges revêtus d’invincibles armures,

Où flottent les clartés des blêmes Orients,

Agitent dans l’éther leurs glaives effrayants.

Cependant, ô Sauveur, tu veux bien nous sourire;

Ton nom, que les soleils sont orgueilleux d’écrire

Et qui fait resplendir les Tyrs et les Sions,

O Jésus! tu veux bien que nous le prononcions,

Et que nous puissions voir, quand son aile te touche,

Le rayon pur qui met sa clarté sur ta bouche.

Ainsi soeur Séraphine, immobile et rêvant,

Répand toute son âme aux pieds du Dieu vivant,

Et la laisse courir vers lui, dans son extase,

Comme un flot de parfum qui ruisselle d’un vase.

Toujours glorifiant, exempte de remord,

Le doux Enfant, vainqueur du Mal et de la Mort,

Elle prie, et ne peut sortir de la chapelle

Où son petit Jésus très doucement l’appelle.

Parfois les soeurs, voyant ses yeux vers lui tournés,

La grondent sans colère, et lui disent: Venez,

Ma soeur, il faut songer à vos petites filles.

Aimez l’Époux céleste à l’ombre de ces grilles;

Mais quoi! ce bon Pasteur, dont la main nous défend,

Jésus n’a pas toujours été petit enfant.

Ma soeur, pour adoucir notre destin sévère,

Lui-même il a porté sa croix sur le Calvaire,

Et le fer de la lance ouvrit son flanc saignant.

Lui qui, plein de bonté, s’en allait, enseignant,

Il a des vils crachats subi la tache noire.

Prince, il a revêtu la pourpre dérisoire;

Il a mouillé sa lèvre à l’éponge de fiel,

Tandis que gémissaient les beaux Anges du ciel.

Il expira. Quand les nuages entendirent

Son souffle s’exhaler, les rochers se fendirent.

Et maintenant, ma soeur, après deux fois mille ans,

Tandis qu’on voit, ainsi qu’un grand vol de milans,

Les Crimes sur nos fronts jeter leur ombre immonde,

Jésus crucifié saigne encor sur le monde.

Elles parlaient ainsi; mais l’innocente soeur

Séraphine jamais n’a compris la noirceur.

Voir l’Enfant radieux est son unique fête,

Et pâle d’épouvante et l’âme stupéfaite,

Livide, elle murmure en des mots décousus:

Non… Non… C’est trop horrible… Oh! mon petit Jésus!
Mai 1887.

Théodore de Banville

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