Sous bois

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Un malheureux, il est vrai, bachelier ès lettres,

Mais fort triste, nourri par les seuls hexamètres,

Et dans le bois riant, au milieu des ronds d’ifs,

Hanté par les supins et par les gérondifs,

Un loqueteux, marqué d’avance pour la tombe,

Ayant son habit noir plus blanc qu’une colombe,

Et tordu comme un cep de vigne, un avorton

Mal venu, tourmentait du bout de son bâton

Dans l’herbe drue et dans les fleurs, une charogne.

Ce lettré, mangé par la gale et par la rogne,

Disait — vain discours, moins murmuré que rêvé:

Que diable peut-on faire avec un chien crevé?

Et songeait combien peu, dans cette pourriture,

Sourit le bifteck, cher à la littérature.

Et le Gueux, dont la peste aurait fait son époux,

Avec son autre main, libre, grattait ses poux.

A ce moment, parut la belle Cyprienne,

Glorieuse, avec sa démarche aérienne,

Qui, voyant le maudit, fit un geste d’horreur.

Mais il dit: En effet, madame, ce doreur,

Le matin rougissant, vous baise et vous caresse;

Vous êtes Joie, Orgueil, Beauté, Grâce, Paresse;

Vos regards fulgurants, pareils à deux brasiers,

Font palpiter d’amour les coeurs extasiés,

Et quand on voit les fleurs de vos lèvres éclore,

On croit facilement que vous êtes l’Aurore.

Votre chair est pareille à des fleurs de lotus.

Cléopâtre, sous la figure de Vénus,

C’est vous-même. C’est vous Hélène, aux jours de Troie.

Bienheureux le vainqueur dont vous êtes la proie!

Sur votre sein charmant vous avez plus de lys

Que n’en ont eus Phryné, Cléopâtre et Laïs;

C’est pour vous que Louis, Roi-Soleil, eût pris Dôle,

Et vous auriez été la femme de Candaule.

Vivre est délicieux, mais vous voir est plus doux.

Pourtant, rayon, clarté, perle, souvenez-vous

Que la rose est mortelle, et que tout se termine

Par de la pourriture et par de la vermine.
Vendredi, 15 juillet 1887.

Théodore de Banville

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