Temps chauds
Il faisait chaud. Le ciel vermeil
Étalait sa pourpre et sa braise
Sous les flammes du blanc soleil
Qui regardait mûrir la fraise.
Parmi l’air infiniment bleu
Où gaîment rougissait la pêche,
Tout grillait, comme sur le feu.
Mais la chambre était toute fraîche.
Ils s’y reposaient tous les deux,
Rose et Pierre, en habits champêtres.
Certes, rien n’était moins hideux
Que le groupe de ces deux êtres.
Ils étaient venus pas à pas!
Et non loin d’eux sifflaient des merles.
Je pense que ce n’était pas
Le moment d’enfiler des perles.
Laissant poindre ses jeunes seins
Que parfois soulevait un souffle,
Rose flambait sur les coussins
Et jouait avec sa pantoufle.
Folâtre, ses flancs palpitants,
Cette fillette aventureuse
Léchait ses lèvres par instants,
Ainsi qu’une chatte amoureuse.
Et les yeux, ces volubilis,
Des cheveux fins comme la cendre,
Mille roses, les divins lys
Demandaient à se laisser prendre.
O jeune savant qui m’es cher,
Je le veux, je suis ta victime.
Prends ma chevelure et ma chair,
S’écriait-elle, en pantomime.
Elle sentait déjà le goût
Des baisers errer sur sa bouche.
Pierre, que prit-il? Rien du tout.
C’était un raisonneur farouche.
Dans son crétinisme divin
Droit comme Vénus dans sa conque,
Il murmura, comme un flot vain,
Les mots d’une prose quelconque.
O céleste Rose, dit-il,
S’il est vrai que nous nous aimâmes
Par un accord chaste et subtil,
Que se passe-t-il dans nos âmes?
Par quel doux et timide essor
En notre paresse mentale
S’envoleront les notes d’or
Et la gamme sentimentale!
O fille de rire et de pleurs,
Qui rappelez notre mère Ève
Jouant dans la forêt de fleurs,
Où vous porte l’aile du rêve?
Oui, j’aimerais à le savoir,
Et c’est là ce qui m’intrigue, ange.
Est-ce dans l’Afrique au front noir?
Est-ce au bord du Tigre ou du Gange?
Est-ce auprès de cet Eurotas
Que le souvenir divinise?
Ou dans le désert de Chactas?
Ou bien dans la triste Venise?
Rose leva ses yeux ardents,
Puis, avec l’air d’un jeune dogue,
Folle, montra ses blanches dents
Et dit: A Chaillot, psychologue!
8 juillet 1890.