Thalie
O muse Comédie,
Souffre un peu que ma main
Hardie
S’égare en ton chemin!
Tel, rouge et faisant halte,
Devant cette primeur
S’exalte
Un apprenti rimeur.
Et bien vite il ajoute:
Pour guérir mes tourments
Écoute-
Moi, nymphe aux yeux charmants.
Vendangeuse Thalie,
Viens, prends en pitié ma
Folie,
Toi que Bacchus aima!
Déesse au cou de cygne
Que n’atteint nul affront,
La vigne
Se tord sur ton beau front.
Oh! ne sois pas farouche!
Mes yeux s’égarent dans
Ta bouche
Et sur tes blanches dents.
L’air ému tourbillonne
Et mon sang courroucé
Bouillonne
Pour ton nez retroussé.
Je veux te plaire, ô Muse!
Et sachant comment on
S’amuse,
Te prendre le menton.
Oyant ces mots, Thalie
Au visage taché
De lie,
N’a pas l’air trop fâché,
Et répond, déjà tendre:
Tu pourras, sous les draps,
Me prendre
Tout ce que tu voudras.
Combattant ma paresse,
Pour tes secrets desseins
Caresse
La neige de mes seins,
Leur neige grandiose,
Où de vivants boutons
De rose
Charment les feuilletons.
Je le veux bien, apaise
Mon dédain querelleur
Et baise
Ma rouge lèvre en fleur.
J’y consens, dans tes rages,
Flétris par les derniers
Outrages
Mes trésors printaniers.
Sois heureux, comme en songe.
Fais tout ce que tu veux,
Et plonge
Ta main dans mes cheveux.
Sois méchant pour moi seule,
Puisque je ne suis pas
Bégueule,
Bouscule mes appas.
Mais, ô marchand de rimes,
Qu’au ciel aérien
Tes crimes
N’aient pas crié pour rien!
Si tu n’es pas infirme,
Sous les astres sereins
Affirme
La vigueur de tes reins.
Avec joie et bravoure
Ma lèvre belle à voir
Savoure
Le sang du raisin noir.
Je dédaigne un coeur lâche.
Sois rude et triomphant,
Mais tâche
De me faire un enfant!
29 octobre 1889.