Théophile Gautier

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Pour entrer vainqueur dans la gloire,

Le grand Théophile Gautier

S’est levé de la tombe noire.

Il revit pour nous tout entier.
Son oeuvre est une moisson mûre.

Il paraît beau comme un lion

Et comme, en sa pesante armure,

Un héros du temps d’Ilion.
Dans sa ville parisienne

Il renaît et peut marier

Sa chevelure ambroisienne

Au feuillage du noir laurier.
Autour de ses lèvres sublimes

S’élance, fuyant les réseaux,

L’essaim mystérieux des rimes

Qui volent comme des oiseaux.
Et l’Ode, qui le sut élire,

Près de lui, pour charmer le jour,

Fait résonner la grande Lyre

Et chante, avec des cris d’amour.
Ici, pendant l’apprentissage

Qu’il faisait, pour charmer les cieux,

Le divin Gautier fut un sage,

Indulgent et silencieux.
Paré pour l’éternelle fête

Dont les astres sont les témoins,

Cet exilé fut un Poëte.

Oui, rien de plus et rien de moins.
Rien de plus, ô Dieux! Comme Orphée,

Vivre avec les yeux pleins d’azur,

Voir au loin, dans l’ombre étouffée,

Passer la figure au front pur;
Et la bouche pleine de cendre,

Pâle de tous les maux soufferts,

Chercher sa proie, et la reprendre

Aux Dieux effrayants des enfers;
Dire les magiques paroles

Pour être, en son espoir divin,

Traqué par les Bacchantes folles

Que guide la fureur du vin;
Toujours emporté dans le songe

Qui berce un rêveur enchanté,

Mépriser, comme un vil mensonge,

Tout ce qui n’est pas la beauté;
Garder, comme en un sanctuaire,

L’idéale forme du corps

Et savoir, comme un statuaire,

Immobiliser ses accords;
Ainsi qu’un aigle, vers le faîte

Ouvrir son vol, toujours altier,

Voilà ce que fait un Poëte

Comme Théophile Gautier.
Il ne fut rien de plus! Génie

Ayant fièrement combattu,

Il subit sa lente agonie

Sans perdre la mâle vertu.
Et maintenant, sans qu’un barbare

L’insulte avec des cris hagards,

Écoutant s’exalter Pindare

Au bruit des chevaux et des chars,
Éclatant de joie et de lustre,

Il appartient, sous le ciel bleu,

A la même lignée illustre

Que Hugo, son maître et son dieu.
19 août 1890.

Théodore de Banville

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