Une femme de Rubens

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Nymphe blanche et robuste,

Dont les bras et le buste

Défieraient les Titans

Et les autans ;
Délice de la lyre,

Qui dus naître et sourire,

Colosse harmonieux,

Au temps des Dieux,
Ne crains plus, forme altière,

De mourir tout entière,

Puisque tu m’enivras.

Non, tu vivras !
Tu vivras par ces rimes,

Comme la neige aux cimes

Où volent les milans

Dure mille ans.
Oh ! reste ainsi ! déploie

Les trésors de ta joie

Pour guérir mon souci.

Oh ! reste ainsi !
Dans le calme athlétique

De ta pose héroïque

Marche pour m’enchanter :

Je veux chanter.
Ô folâtre Céphise,

Que le dieu de Venise

Eût livrée au courroux

Du soleil roux ;
Fille aux yeux pleins d’étoiles,

Qui naquis pour les toiles

De l’enchanteur d’Anvers,

Ou pour mes vers,
Ta tête de faunesse

Est folle de jeunesse

Et de rires ardents

Aux blanches dents.
Un sang pur et farouche,

Enfant, donne à ta bouche

Cet éclat de la chair

Qui m’est si cher,
Et comme un coquillage

Le rose cartilage

De ton nez retroussé

Est nuancé.
Ton folâtre visage,

Gai comme un bon présage,

Fait songer à des fleurs

Par ses couleurs ;
Et ta petite oreille,

Qui n’a pas sa pareille,

Semble un joyau fini

Par Cellini.
Tes yeux, tes yeux étranges

Recèlent sous les franges

Soyeuses de tes cils

Des feux subtils.
Dans tes vagues prunelles

Courent des étincelles

D’or fauve, comme au fond

D’un ciel profond ;
Et tes cheveux, où l’ombre

Court transparente et sombre,

S’embellissent encor

De reflets d’or.
Ils couvrent ta poitrine

Et ta gorge ivoirine

D’un large flot mouvant ;

Et, bien souvent,
Tant s’épaissit, profonde,

Leur masse, qui s’inonde

De suaves parfums,

On les voit bruns.
Pourtant des flammes vives

S’égarent fugitives,

Dans leurs anneaux épars

De toutes parts,
Et quand tu la dénoues,

Ruisselant sur tes joues

Et baignant dans ses jeux

Ton sein neigeux,
Cette ample chevelure,

Qui te sert de parure,

Illumine ton flanc

D’or et de sang.
Tes blanches mains royales,

Aux lignes idéales,

Jettent comme un éclair

De rose clair,
Et les bras et le torse,

Éblouissants de force,

Ont tout l’emportement

De l’art flamand.
Ton cou, blanc comme un cygne,

Montre une douce ligne

D’un suave dessin ;

Et ton beau sein,
Ton sein lourd, où se pose

Un divin rayon rose,

Est fait d’un marbre dur

Veiné d’azur.
Ô jeune chasseresse

Dont la folle paresse

Doit tressaillir encor

Au bruit du cor,
Toi que la Nuit dévore,

Et que baisait l’Aurore

Au temps où tu courais

Dans les forêts,
Laisse que je contemple

Cet adorable temple

Que le cruel Amour

Veut pour séjour ;
Oh ! laisse que j’admire

Ces haleines de myrrhe,

Ces ivoires, ces ors,

Tous ces trésors !
J’aime tes jambes fières,

Ton dos où des lumières

Baignent les arcs sereins

De tes beaux reins ;
Et ce pied de Diane

Agile et diaphane

Dont les doigts écartés

Ont des clartés ;
Et ces ongles solides,

Polis et translucides,

Brillants sur les orteils

De tons vermeils !
Ô Néréide ! Ô muse

Digne de Syracuse !

Quand j’écoute ta voix,

Quand je te vois
Courir, lascive et rose,

Dans le bois grandiose

Où si vite a bondi

Ton pied hardi ;
Ou, quand sous les ombrages,

Paresseuse, tu nages,

Sans déranger les flots,

Près des îlots,
Mon rêve idéalise

Ta fraîche mignardise

En cent déguisements

Toujours charmants !
La nature discrète

Et merveilleuse prête

À mes illusions

Ses visions.
Les bocages des rives

Où des ailes furtives

Voltigent par milliers,

Les peupliers
Et la noire broussaille,

Tout s’anime et tressaille

D’un invincible émoi ;

Et devant moi
Un essaim d’amazones

Aux brillantes couronnes

Passent sur le gazon

En floraison.
C’est Diane ingénue

Livrant sa gorge nue

Aux caresses des airs,

Dans les déserts ;
C’est la grave Cybèle,

Comme un troupeau qui bêle,

Conduisant sans courroux

Ses lions roux ;
C’est l’ange Cythérée

Dans la mer azurée

Appuyant ses pieds fins

Sur les dauphins ;
C’est Ariane heureuse

Dans sa coupe amoureuse

Tordant, par un beau soir,

Le raisin noir ;
C’est l’arrogante Omphale,

En robe triomphale,

Énervant un héros

Sur ses carreaux ;
C’est Léda qui s’indigne

Sous le baiser du cygne

Et le cherche à son tour

Folle d’amour ;
C’est Hélène, embrasée

De désirs, que Thésée

Emporte dans ses mains

Par les chemins ;
C’est la jeune Amphitrite

Et sa cour favorite

Guidant aux flots ouverts

Les coursiers verts ;
C’est la brune Antiope

Dont le cheval galope

Au bruit des javelots

Et des sanglots.
Les voilà, ce sont elles !

Ce sont les immortelles

Qui vivront à jamais

Sur les sommets !
Non, ces grandes guerrières

Qui vont dans les clairières

En me glaçant d’effroi,

C’est toujours toi.
C’est en toi que je trouve

Leurs blanches dents de louve,

Leurs crinières que fuit

La sombre nuit,
Leurs muscles, où respire

Avec tout son empire

L’immortelle vigueur

Qui vient du cœur ;
Et cet éclat de l’ange,

Qu’un glorieux mélange

De neige et de carmin

Rend surhumain !
Mais, ô sage Aphrodite,

Qu’une race maudite

Et vouée au trépas

Ne connaît pas !
À ces superbes formes

Il faut les plis énormes

Des manteaux éperdus

Au vent tordus ;
Il leur faut l’écarlate

Qui les baise et les flatte,

Le voile aérien

Du Tyrien,
La pourpre qui s’envole

Au zéphyre frivole

Et qui semble frémir

Ou s’endormir,
Et ces étoffes rares,

Aux ornements barbares,

Que parent les métaux

Orientaux.
Mais non, la pourpre même

Nuit dans un tel poème

En mêlant ses ardeurs

À tes splendeurs ;
Ô nymphe de la Thrace !

Il faut que l’œil embrasse

Avec sérénité

Leur nudité.
Arrachée au plus rare

Filon du blanc Carrare

Par un nouveau Scyllis,

Père des lys,
Ta puissante nature

Se trouve à la torture

Dans les noirs casaquins

Aux plis mesquins,
Et, faite pour Corinthe,

Elle est lourde et contrainte

Sous le flot des pompons

Et des jupons.
Car, pour une Déesse

Tordant sa longue tresse,

Nous voulons des habits

Faits de rubis.
En vain Gavarni l’aide,

Vénus Victrix est laide

Avec le falbala

De Paméla,
Et, pour orner sa gloire,

Choisit la perle noire

Arrachée à la mer

Du gouffre amer.
Donc, rayonne et sois belle,

Mystérieux modèle,

Mais pour l’œil contempteur

Du grand sculpteur.
Sois belle, ô nymphe blonde,

Sans que jamais le monde,

Ce vain historien,

En sache rien !
Mais dans mon ode pleine

De chansons, comme Hélène

Tu te réveilleras ;

Tu brilleras
Pour la race future,

En ta haute stature,

Sous le baiser riant

De l’Orient ;
Comme une fleur d’Asie

Épandant l’ambroisie

D’un buisson de rosiers

Extasiés ;
Magnifique, vêtue,

Ainsi qu’une statue,

De la seule fraîcheur

De ta blancheur,
Et montrant emmêlée,

Au vent échevelée,

Ta sauvage toison

Riche à foison.
Alors, quand nos idoles

Mourantes et frivoles,

Aux yeux irrésolus,

Ne seront plus
Que des chimères vaines,

Toi, le sang de tes veines

Montera, vif et prompt,

Jusqu’à ton front.
On verra luire encore

Ton sein qui se décore

De ses lys éclatants ;

Et dans ce temps
Où ceux dont l’âme fière

Tient la vile matière

En souverain mépris

Seront épris
De tes formes parfaites,

On verra les poètes,

Tourmentés par le mal

De l’idéal,
Attester par leurs larmes

Le pouvoir de tes charmes

Et l’immortalité

De ta beauté.
Juin 1859.

Théodore de Banville

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