Villégiature
C’est le printemps, le printemps fou
Qui s’étend sur la terre dure,
Au milieu des airs flottants, où
Frissonne et frémit la verdure.
J’allai hier dans le bois profond
Où sur les noirs coteaux propices
Les feuillages révoltés font
Des gouffres et des précipices.
Et, montrant son front d’or vermeil
Là, je vis la Nymphe ingénue
Qui chauffait son ventre au soleil,
Enamourée et toute nue.
Printemps, ses regards adorés
Charmaient au loin toutes les choses,
Tandis que ses beaux seins dorés
Dressaient en l’air des pointes roses.
Parfois quelque Faune insolent
Venait la baiser sur la bouche.
Elle, avec un geste indolent
Recevait le baiser farouche.
Comme elle était de bonne humeur,
(Elle et moi, bien souvent nous rîmes),
Elle me dit: C’est toi, rimeur!
Ce bois folâtre est plein de rimes.
Tu viens de Paris; qu’y fait-on?
Réponds-moi sans détour, Banville.
– Mais, dis-je, le parfait bon ton
Règne toujours dans cette ville.
Ses femmes ont des airs divins
Et là, dans les hautes demeures,
Pour économiser les vins,
Nous prenons du thé, vers cinq heures.
Parfois pleuvent des livres tels
Qu’ils nous font l’effet d’une tuile!
On nous expose des pastels
Et de nombreux tableaux à l’huile.
Amour, embusqué dans le parc
Monceau, rit, montrant ses gencives,
Et sans pudeur tire de l’arc
Sur les dames inoffensives.
Dans Paris, où l’on n’est qu’amant,
Les rieurs, malgré leurs blasphèmes,
Sont aimés plus que fréquemment.
Quelques-uns le sont pour eux-mêmes.
D’autres font voir l’idéal sous
Des espèces d’or plus solides,
Et tels sont aimés pour deux sous
Dans les fossés des Invalides.
– Bien, me dit la Nymphe, le roi
Amour et le meurtre sont frères.
Mais, pour le moment, parle-moi
Des événements littéraires.
Car la paresse nous retient
Dans ce bois où fleurit la menthe.
Dis-nous un peu ce que devient
La politique? — Elle est charmante,
Répondis-je. — Un calme zéphyr
Soufflait sur l’eau folle et changeante,
Ridant le ruisseau de saphir,
Qui parfois doucement s’argente.
Et des rayons d’or inouïs,
Ardents, brisant les saintes règles,
Déchiraient les cieux, éblouis
Par le vol effrayant des aigles.
13 mai 1890.