Vous en qui je salue une nouvelle aurore…

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Vous en qui je salue une nouvelle aurore,

Vous tous qui m’aimerez,

Jeunes hommes des temps qui ne sont pas encore,

Ô bataillons sacrés !
Et vous, poëtes, pleins comme moi de tendresse,

Qui relirez mes vers

Sur l’herbe, en regardant votre jeune maîtresse

Et les feuillages verts !
Vous les lirez, enfants à chevelure blonde,

Coeurs tout extasiés,

Quand mon corps dormira sous la terre féconde

Au milieu des rosiers.
Mais moi, vêtu de pourpre, en d’éternelles fêtes

Dont je prendrai ma part,

Je boirai le nectar au séjour des poëtes,

A côté de Ronsard.
Là, dans ces lieux où tout a des splendeurs divines,

Ondes, lumière, accords,

Nos yeux s’enivreront de formes féminines

Plus belles que des corps ;
Et tous les deux, parmi des spectacles féeriques,

Qui dureront toujours,

Nous nous raconterons nos batailles lyriques

Et nos belles amours.
Vous cependant, mes fils, nés pour la poésie

Et l’ode aux flots vainqueurs,

Vous puiserez la joie au fleuve d’ambroisie

Qui coula de nos coeurs.
Comme aujourd’hui rêveur près de quelque fontaine

Je redemande en vain

Le secret des amours de Marie et d’Hélène

A mon maître divin,
Vous redirez aussi les grâces d’Aurélie

Aux oiseaux de Cypris,

Au rossignol des bois, à la rose pâlie,

Au bleu myosotis !
Vous demanderez tous à mes vers de vous dire

Quelle fut la beauté

Dont mes rimes en fleur adoraient le sourire

De rose et de clarté !
Ils vous la montreront, ces vers dont s’émerveille

La chanson des hautbois,

Ruisselante de feux comme une aube vermeille,

Rose et neige à la fois ;
Et telle qu’à présent, jeune fille hautaine

Au sein délicieux,

Elle ravit d’amour l’azur de la fontaine

Et l’escarboucle aux cieux.
On dirait à la voir que, de sa main profonde,

Dieu, sur son trône assis,

A pétri de nouveau, pour en refaire un monde,

Une Ève aux noirs sourcils !
Car elle est fière, et seule, Ange mystérieuse,

Sourit et marche encor

Avec la majesté d’une victorieuse

A la cuirasse d’or,
Et, comme cette Muse à qui le temps pardonne

Sans tache et sans affront,

Elle pourrait aussi porter une couronne

D’étoiles à son front,
A ce front souriant, poli comme l’ivoire

Des lys inviolés,

Que de leurs lourds anneaux encadrent avec gloire

Ses bandeaux ondulés !
Un signe querelleur folâtre sur sa joue

Qu’un clair duvet défend,

Et sa bouche amoureuse, où la clarté se joue,

Est d’un petit enfant.
Sous l’ombre des sourcils et leur arcade noire,

Pareils à l’or du jour,

Ses grands yeux tout vermeils s’ouvrent comme pour boire

Des océans d’amour,
Et la même lumière en frémissant arrose

D’un ton timide et pur

Sur un front mat et clair les narines de rose

Et les veines d’azur.
Son col de marbre où luit votre blancheur insigne,

Ô neiges de l’Ida,

S’incline mollement, comme le divin cygne

Sur le sein de Léda.
Cette tête ingénue et ce corps de Déesse,

Ensemble harmonieux,

Lui donnent l’éternelle et sereine jeunesse

Des enfants et des Dieux.
Des grands camellias défiant les calices,

Telles, orgueil d’Éros,

Les femmes de Pradier sortent calmes et lisses

Du marbre de Paros.
Dans ces temps où les Dieux de l’Hellade vivante

Fleurissaient les chemins,

L’orgueilleuse Cypris eût été sa servante

Pour lui baiser les mains ;
Et triste, agenouillée en larmes parmi l’herbe,

La Déesse, en songeant,

Elle-même eût noué sur sa jambe superbe

Le cothurne d’argent !
Ainsi vous la verrez dans les brûlants délires

De vos coeurs embrasés,

Et sachez que sa voix eut la douceur des lyres

Et des premiers baisers,
Amants qui devez naître ! et le doux nom de Laure,

Dans les vers cent fois lus,

Et l’Elvire aux beaux yeux que le génie adore

Ne vous troubleront plus.
Et vous ferez chanter par quelque fier poëte,

Mon fils et mon rival,

Les femmes qui seront une image imparfaite

De ce type idéal.
Juin 1846

Théodore de Banville

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