Aussi souvent qu’Amour fait penser à mon âme

Théophile De Viau
par Théophile De Viau
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Aussi souvent qu’Amour fait penser à mon âme,
Combien il mit d’attraits dans les yeux de ma Dame,
Combien c’est de l’honneur d’aimer en si bon lieu,
Je m’estime aussi grand et plus heureux qu’un Dieu.
Amaranthe, Phillis, Caliste, Pasithée,
Je hais cette mollesse à vos noms affectée ;
Ces titres qu’on vous fait avecque tant d’appas,
Témoignent qu’en effet vos yeux n’en avaient pas.
Au sentiment divin de ma douce furie,
Le plus beau nom du monde est le nom de Marie :
Quelque souci qui m’ait enveloppé l’esprit,
En l’oyant proférer, ce beau nom me guérit,
Mon sang en est ému, mon âme en est touchée
Par des charmes secrets d’une vertu cachée.
Je la nomme toujours, je ne m’en puis tenir.
Je n’ai dedans le coeur autre ressouvenir
Et ne connais plus rien, je ne vois plus personne.
Plût à Dieu qu’elle sût le mal qu’elle me donne,
Qu’un bon Ange voulût examiner mes sens,
Et qu’il lui rapportât au vrai ce que je sens,
Qu’Amour eût pris le soin de dire à cette belle,
Si je suis un moment sans soupirer pour elle,
Si mes désirs lui font aucune trahison,
Si je pensai jamais à rompre ma prison.
Je jure par l’éclat de ce divin visage,
Que je serais marri de devenir si sage.
En l’état où je suis, aveugle et furieux,
Tout bon avis me choque et m’est injurieux.
Quand le meilleur ami que je pourrais avoir,
Touché du sentiment de ce commun devoir,
A m’ôter cet amour emploierait sa peine,
Il n’aurait travaillé que pour gagner ma haine :
En telle bienveillance un Dieu m’offenserait,
Et je me vengerais du bien qu’il me ferait.
Qui me veut obliger, il faut qu’il me trahisse,
Qu’il prenne son plaisir à voir que je périsse.
Honorez mes fureurs, vantez ma lâcheté,
Méprisez devant moi l’honneur, la liberté ;
Consentez que je pleure, aimez que je soupire.
Et vous m’obligerez de plus que d’un empire.
Mais non, reprochezmoi ma honteuse douleur,
Dites combien l’Amour m’apporte de malheur,
Que pour un faux plaisir je perds ma renommée,
Que mes esprits n’ont plus leur force accoutumée,
Que je deviens fâcheux, sans courage, et brutal,
Bref que pour cet amour tout m’est rendu fatal.
Faitesle pour tuer l’ardeur qui me consume,
Car je connais qu’ainsi ma flamme se rallume ;
Plus on presse mon mal, plus il fuit au dedans.
Et mes désirs en sont mille fois plus ardents.
A l’abord d’un censeur je sens que mon martyre
De dépit et d’horreur dans mes os se retire.
Amour ne fait alors que renforcer ses traits,
Et donne à ma maîtresse encore plus d’attraits.
Ainsi je trouve bon que chacun me censure,
Afin que mon tourment davantage me dure.
Pour conserver mon mal je fais ce que je puis,
Et me croyant heureux sans doute je le suis :
Je ne recherche point de Dieux, ni de fortune,
Ce qu’ils font ou dessous, ou pardessus la Lune
Pour le bien des mortels : tout m’est indifférent,
Excepté le plaisir que ma peine me rend. […]

Théophile De Viau

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