Élégie à une Dame

Théophile De Viau
par Théophile De Viau
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Si votre doux accueil n’eût consolé ma peine,
Mon âme languissait, je n’avais plus de veine,
Ma fureur était morte, et mes esprits couverts
D’une tristesse sombre avaient quitté les vers.
Ce métier est pénible, et notre sainte étude
Ne connaît que mépris, ne sent qu’ingratitude :
Qui de notre exercice aime le doux souci,
Il hait sa renommée et sa fortune aussi.
Le savoir est honteux, depuis que l’ignorance
A versé son venin dans le sein de la France.
Aujourd’hui l’injustice a vaincu la raison,
Les bonnes qualités ne sont plus de saison,
La vertu n’eut jamais un siècle plus barbare,
Et jamais le bon sens ne se trouva si rare.
Celui qui dans les coeurs met le mal ou le bien
Laisse faire au destin sans se mêler de rien ;
Non pas que ce grand Dieu qui donne l’âme au monde
Ne trouve à son plaisir la nature féconde,
Et que son influence encor à pleines mains
Ne verse ses faveurs dans les esprits humains.
Parmi tant de fuseaux la Parque en sait retordre
Où la contagion du vice n’a su mordre,
Et le Ciel en fait naître encore infinité
Qui retiennent beaucoup de la divinité,
Des bons entendements, qui sans cesse travaillent
Contre l’erreur du peuple, et jamais ne défaillent,
Et qui d’un sentiment hardi, grave et profond,
Vivent tout autrement que les autres ne font :
Mais leur divin génie est forcé de se feindre,
Et les rend malheureux s’il ne se peut contraindre.
La coutume et le nombre autorise les sots,
Il faut aimer la Cour, rire des mauvais mots,
Accoster un brutal, lui plaire, en faire estime
Lorsque cela m’advient je pense en faire un crime,
J’en suis tout transporté, le coeur me bat au sein,
Je ne crois plus avoir l’entendement bien sain,
Et pour m’être souillé de cet abord funeste,
Je crois longtemps après que mon âme a la peste.
Cependant il faut vivre en ce commun malheur,
Laisser à part esprit, et franchise, et valeur,
Rompre son naturel, emprisonner son âme,
Et perdre tout plaisir pour acquérir du blâme :
L’ignorant qui me juge un fantasque rêveur,
Me demandant des vers croit me faire faveur,
Blâme ce qu’il n’entend, et son âme étourdie
Pense que mon savoir me vient de maladie.
Mais vous à qui le Ciel de son plus doux flambeau
Inspira dans le sein tout ce qu’il a de beau,
Vous n’avez point l’erreur qui trouble ces infâmes,
Ni l’obscure fureur de ces brutales âmes,
Car l’esprit plus subtil en ses plus rares vers
N’a point de mouvements qui ne vous soient ouverts.
Vous avez un génie à voir dans les courages,
Et qui connaît assez mon âme et mes ouvrages.
Or bien que la façon de mes nouveaux écrits
Diffère du travail des plus fameux esprits,
Et qu’ils ne suivent point la trace accoutumée
Par où nos écrivains cherchent la renommée,
J’ose pourtant prétendre à quelque peu de bruit,
Et crois que mon espoir ne sera point sans fruit.
Vous me l’avez promis, et sur cette promesse
Je fausse ma promesse aux vierges de Permesse.
Je ne veux réclamer ni Muse, ni Phébus,
Grâce à Dieu bien guéri de ce grossier abus,
Pour façonner un vers que tout le monde estime,
Votre contentement est ma dernière lime,
Vous entendez le poids, le sens, la liaison,
Et n’avez en jugeant pour but que la raison :
Aussi mon sentiment à votre aveu se range,
Et ne reçoit d’autrui ni blâme ni louange.
Imite qui voudra les merveilles d’autrui,
Malherbe a très bien fait, mais il a fait pour lui,
Mille petits voleurs l’écorchent tout en vie :
Quant à moi ces larcins ne me font point d’envie,
J’approuve que chacun écrive à sa façon,
J’aime sa renommée et non pas sa leçon.
Ces esprits mendiants d’une veine infertile
Prennent à tous propos ou sa rime ou son style,
Et de tant d’ornements qu’on trouve en lui si beaux,
Joignent l’or et la soie à de vilains lambeaux
Pour paraître aujourd’hui d’aussi mauvaise grâce
Que parut autrefois la corneille d’Horace.
Ils travaillent un mois à chercher comme à fils
Pourra s’apparier la rime de Memphis.
Ce Liban, ce turban, et ces rivières mornes
Ont souvent de la peine à retrouver leurs bornes ;
Cet effort tient leurs sens dans la confusion,
Et n’ont jamais un rai de bonne vision.
J’en connais qui ne font des vers qu’à la moderne,
Qui cherchent à midi Phébus à la lanterne,
Grattent tant le français qu’ils le déchirent tout,
Blâmant tout ce qui n’est facile qu’à leur goût,
Sont un mois à connaître en tâtant la parole,
Lorsque l’accent est rude, ou que la rime est molle,
s Veulent persuader que ce qu’ils font est beau,
Et que leur renommée est franche du tombeau,
Sans autre fondement, sinon que tout leur âge
S’est laissé consommer en un petit ouvrage,
Que leurs vers dureront au monde précieux,
ioo Parce qu’en les faisant ils sont devenus vieux.
De même l’Araignée en filant son ordure
Use toute sa vie et ne fait rien qui dure.
Mais cet autre Poète est bien plein de ferveur,
Il est blême, transi, solitaire, rêveur,
La barbe mal peignée, un oeil branlant et cave,
Un front tout renfrogné, tout le visage hâve,
Ahane dans son lit, et marmotte tout seul,
Comme un esprit qu’on oit parler dans un linceul,
Grimace par la rue, et stupide retarde
Ses yeux sur un objet sans voir ce qu’il regarde.
Mais déjà ce discours m’a porté trop avant,
Je suis bien près du port, ma voile a trop de vent,
D’une insensible ardeur peu à peu je m’élève,
Commençant un discours que jamais je n’achève.
s Je ne veux point unir le fil de mon sujet,
Diversement je laisse et reprends mon objet,
Mon âme imaginant n’a point la patience
De bien polir les vers et ranger la science,
La règle me déplaît, j’écris confusément,
Jamais un bon esprit ne fait rien qu’aisément.
Autrefois quand mes vers ont animé la scène,
L’ordre où j’étais contraint m’a bien fait de la peine.
Ce travail importun m’a longtemps martyré,
Mais enfin grâce aux Dieux je m’en suis retiré.
Peu sans faire naufrage, et sans perdre leur ourse,
Se sont aventurés à cette longue course.
Il y faut par miracle être fol sagement,
Confondre la mémoire avec le jugement,
Imaginer beaucoup, et d’une source pleine,
Puiser toujours des vers dans une même veine.
Le dessein se dissipe, on change de propos,
Quand le style a goûté tant soit peu le repos.
Donnant à tels efforts ma première furie,
Jamais ma veine encor ne s’y trouva tarie ;
Mais il me faut résoudre à ne la plus presser,
Elle m’a bien servi, je la veux caresser,
Lui donner du relâche, entretenir la flamme,
Qui de sa jeune ardeur m’échauffe encore l’âme ;
Je veux faire des vers qui ne soient pas contraints,
Promener mon esprit par de petits desseins,
Chercher des lieux secrets où rien ne me déplaise,
Méditer à loisir, rêver tout à mon aise,
Employer toute une heure à me mirer dans l’eau,
Ouïr comme en songeant la course d’un ruisseau,
Écrire dans les bois, m’interrompre, me taire,
Composer un quatrain, sans songer à le faire.
Après m’être égayé par cette douce erreur,
Je veux qu’un grand dessein réchauffe ma fureur,
Qu’un oeuvre de dix ans me tienne à la contrainte,
De quelque beau Poème, où vous serez dépeinte :
Là si mes volontés ne manquent de pouvoir,
J’aurai bien de la peine en ce plaisant devoir.
En si haute entreprise où mon esprit s’engage,
Il faudrait inventer quelque nouveau langage,
Prendre un esprit nouveau, penser et dire mieux
Que n’ont jamais pensé les hommes et les Dieux.
Si je parviens au but où mon dessein m’appelle,
Mes vers se moqueront des ouvrages d’Apelle,
Qu’Hélène ressuscite, elle aussi rougira
Partout où votre nom dans mon ouvrage ira.
Tandis que je remets mon esprit à l’école,
Obligé dès longtemps à vous tenir parole,
Voici de mes écrits ce que mon souvenir,
Désireux de vous plaire, en a pu retenir.

Théophile De Viau

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