La Vierge de Tolède
On vénère à Tolède une image de Vierge,
Devant qui toujours tremble une lueur de cierge ;
Poupée étincelante en robe de brocart,
Comme si l’or était plus précieux que l’art !
Et sur cette statue on raconte une histoire
Qu’un enfant de six mois refuserait de croire,
Mais que doit accepter comme une vérité
Tout poète amoureux de la sainte beauté.
Quand la Reine des cieux au grand saint Ildefonse,
Pour le récompenser de la grande réponse,
Quittant sa tour d’ivoire au paradis vermeil,
Apporta la chasuble en toile de soleil,
Par curiosité, par caprice de femme,
Elle alla regarder la belle Notre-Dame,
Ouvrage merveilleux dans l’Espagne cité,
Rêve d’ange amoureux, à deux genoux sculpté,
Et devant ce portrait resta toute pensive
Dans un ravissement de surprise naïve.
Elle examina tout : — le marbre précieux ;
Le travail patient, chaste et minutieux ;
La jupe raide d’or comme une dalmatique ;
Le corps mince et fluet dans sa grâce gothique ;
Le regard virginal tout baigné de langueur,
Et le petit Jésus endormi sur son cœur.
Elle se reconnut et se trouva si belle,
Qu’entourant de ses bras la sculpture fidèle,
Elle mit, au moment de remonter aux cieux,
Au front de son image un baiser radieux.
Ah ! que de tels récits, dont la raison s’étonne
Dans ce siècle trop clair pour que rien y rayonne,
Au temps de poésie où chacun y croyait,
Devaient calmer le cœur de l’artiste inquiet !
Faire admirer au ciel l’ouvrage de la terre,
Cet espoir étoilait l’atelier solitaire,
Et le ciseau pieux longtemps avec amour
Pour le baiser divin caressait le contour.
Si la Vierge, à Paris, avec son auréole,
Sur les autels païens de notre âge frivole
Descendait et venait visiter son portrait,
Croyez-vous, ô sculpteurs, qu’elle s’embrasserait ?