Montée sur le Brocken
Lorsque l’on est monté jusqu’au nid des aiglons,
Et que l’on voit, sous soi, les plus fiers mamelons
Se fondre et s’effacer au flanc de la montagne,
Et, comme un lac, bleuir tout au fond la campagne,
On s’aperçoit enfin qu’on grimperait mille ans,
Tant que la chair tiendrait à vos talons sanglants,
Sans approcher du ciel qui toujours se recule,
Et qu’on n’est, après tout, qu’un Titan ridicule.
On n’est plus dans le monde, on n’est pas dans les cieux,
Et des fantômes vains dansent devant vos yeux.
Le silence est profond ; la chanson de la terre
Ne vient pas jusqu’à vous, et la voix du tonnerre
Qui roule sous vos pieds, semble le bâillement
Du Brocken, ennuyé de son désœuvrement.
Votre cri, sans trouver d’écho qui le répète,
S’éteint subitement sous la voûte muette ;
C’est un calme sinistre, on n’entend pas encore
Les violes d’amour et les cithares d’or,
Car le ciel est bien haut et l’échelle est petite ;
Votre guide, effrayé, redescend et vous quitte,
Et, roulant une larme au fond de son œil bleu,
La dernière des fleurs vous jette son adieu.
La neige cependant descend silencieuse,
Et, sous ses fils d’argent, la lune soucieuse
Apparaît à côté d’un soleil sans rayons ;
Le ciel est tout rayé de ses pâles sillons,
Et la mort, dans ses doigts, tordant ce fil qui tombe,
Vous tisse un blanc linceul pour votre froide tombe.