Aurora
Appareillage d’un brick corsaire .
« Quand l’on fut toujours vertueux
L’on aime à voir lever l’aurore… »
Cent vingt corsairiens, gens de corde et de sac,
À bord de la Mary-Gratis, ont mis leur sac.
– Il est temps, les enfants ! on a roulé sa bosse…
Hisse ! – C’est le grand-foc qui va payer la noce.
Étarque ! – Leur argent les fasse tous cocus !…
La drisse du grand-foc leur rendra leurs écus…
– Hisse hoé !… C’est pas tant le gendarm’ qué jé r’grette !
– Hisse hoà !… C’est pas ça ! Naviguons, ma brunette !
Va donc Mary-Gratis, brick écumeur d’Anglais !
Vire à pic et dérape !… – Un coquin de vent frais
Largue, en vrai matelot, les voiles de l’aurore ;
L’écho des cabarets de terre beugle encore…
Eux répondent en chœur, perchés dans les huniers,
Comme des colibris au haut des cocotiers :
« Jusqu’au revoir, la belle,
« Bientôt nous reviendrons… »
Ils ont bien passé là quatre nuits de liesse,
Moitié sous le comptoir et moitié sur l’hôtesse…
« …Tâchez d’être fidèle,
« Nous serons bons garçons… »
– Évente les huniers !… C’est pas ça qué jé r’grette…
– Brasse et borde partout !… Naviguons, ma brunette !
– Adieu, séjour de guigne !… Et roule, et cours bon bord…
Va, la Mary-Gratis ! – au nord-est quart de nord. –
… Et la Mary-Gratis, en flibustant l’écume,
Bordant le lit du vent se gîte dans la brume.
Et le grand flot du large en sursaut réveillé
À terre va bâiller, s’étirant sur le roc :
Roul’ ta bosse, tout est payé
Hiss’ le grand foc !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ils cinglent déjà loin. Et, couvrant leur sillage,
La houle qui roulait leur chanson sur la plage
Murmure sourdement, revenant sur ses pas :
– Tout est payé, la belle !… ils ne reviendront pas.